Fin des aventures de la grenouille d’André !

Par Alain LAVELLE.

Il existe des paires indissociables où les partenaires liés par une empathie complice partagent la même appétence esthétique, l’obsession du travail bien fait et respectent dans chaque artiste sa part de subjectivité. Mon ami André (cf https://artsetvoyages.blog/2022/01/11/a-propos-de-la-derniere-oeuvre-dandre-checa/#more-4701 ),  sculpteur de son état, m’a fait rencontrer à Irun l’équipe de Fundición  Artística Jaizkibel SL. Le père et le fils, fondeurs depuis plus de 50 ans entourés d’une équipe d’ouvriers spécialisés et expérimentés se sont installés il y a quelques dizaines d’années dans le pays basque espagnol. La fundición se veut « une fonderie moderne, innovante, travaillant le bronze et d’autres métaux incorporant des matériaux classiques tels que le marbre et la pierre ainsi que des matériaux plus modernes ».

Appréciés par les créateurs espagnols et étrangers, capables de couler des œuvres de toutes dimensions, y compris monumentales, ils sont le bras armé des sculpteurs en façonnant en bronze les modèles conçus par les statuaires.

Un impératif s’impose au fondeur : faire en sorte que son artisanat atteigne l’excellence sans altérer l’essence de l’objet. Toute œuvre d’art a une spécificité et une âme. Elle ne peut se limiter à une reproduction passive. Le mimétisme, plagiat sans imagination, est à proscrire. L’artiste et le fondeur s’associent pour donner vie à une création originale et unique. Une sculpture n’existe pas si elle n’extériorise aucune symbolique du vivant et ne provoque pas chez l’amateur d’art une émotion affective alliant plaisir et harmonie.

Le fondeur a donc l’obligation d’intégrer ces facteurs sans trahir le travail du sculpteur.

Comment cela se passe-t-il ?

En pénétrant les locaux de la Fundición  Artística nous découvrons les différentes étapes de la fonte par cire perdue.

Mais quelques mots d’abord sur le lieu où s’affaire l’équipe d’artisans. Le bâtiment abritant la fonderie est une sorte de vaste entrepôt divisé en trois parties :

  • Une partie spacieuse recevant les matériaux, un chariot-élévateur, une centrifugeuse, un four imposant ainsi que l’ensemble des équipements nécessaires à son fonctionnement (différents outils, thermocouple, bac à sable, bac à refroidissement) et un palan permettant de soulever ou de déplacer de lourdes charges.

La hauteur sous plafond est élevée. Cette partie volumineuse facilite la circulation des hommes, des engins et des sculptures. Le long du mur sont rangés des cartons contenant moules et pièces diverses utilisés pour la réalisation de modèles ainsi que des combinaisons et masques de protection.

  • Une partie plus modeste à l’étage où sont situés les équipements essentiels aux tâches de finition : soudure des différentes parties de la sculpture, polissage du bronze, gravure…
  • Au rez-de-chaussée sont disposés une pièce regroupant des figurines et le bureau avec ordinateur et imprimante 3D.

Ce qui est frappant dans cet endroit industriel, c’est avant tout sa propreté, mais aussi son agencement ordonné ainsi que la répartition rationnelle des espaces en fonction de leur utilisation.

Quels sont les matériaux utilisés ?

  • Le bronze, qui est un alliage de cuivre (pourcentage supérieur à 65 %) et d’étain (élément additionnel inférieur à 15 %) auxquels viennent s’ajouter du zinc, du plomb ou du nickel, voire de l’aluminium et du manganèse.

La qualité des alliages de fonderie et le mode de coulée sont importants si on veut obtenir un bronze impeccable résistant à l’usure.

  • Du plâtre pour rigidifier
  • Du silicone liquide injecté et qui en durcissant a une épaisseur de 1 à 3cm. Le silicone est employé pour sa souplesse qui rend le démoulage facile.
  • De la cire liquide introduite au cœur du moule. Ce qui permet d’obtenir un état de surface optimal. Le procédé de la cire perdue autorise la coulée d’alliages à très haut point de fusion.

Quel est le chemin qui va de la création à la réalisation d’une sculpture de bronze ?

  •  1ère étape : la création du modèle en plâtre. Là, nous sommes totalement dans l’expression artistique pure.
  • 2ème étape : l’empreinte. On aborde maintenant la technique. Il faut recouvrir entièrement le modèle d’élastomère et l’enfermer dans une coque pour qu’il laisse son empreinte puis attendre que cela prenne.
  • 3ème étape : ouvrir la coque, détacher l’empreinte du modèle. Elle doit reproduire fidèlement et en creux la statue qui doit être enduite de cire dans ses moindres contours
Etape 3: on couvre l’empreinte de cire
  •  4ème étape : une fois la cire refroidie, on ouvre la coque et on dégage l’épreuve. On a ainsi obtenu une statue en cire.
  • 5ème étape : on installe sur la statue des tubes pour évacuer la cire, des évents et des alimentations pour permettre la coulée de bronze. Enfin, on remplit l’intérieur de la statue de plâtre réfractaire et on plante des clous pour la maintenir en place et éviter qu’elle ne bouge lors de la cuisson.
  • 6ème étape : on projette du plâtre sur tout l’objet et on l’enferme dans un bloc appelé moule de potée.
  • 7ème étape : cuisson pendant plusieurs jours à plus de 900 degrés. Résultat, la cire fond et s’évacue, laissant une nouvelle épreuve à l’intérieur du moule de potée (d’où l’expression cire perdue).
  • 8ème étape : le moule est retourné, placé dans un bac plein de sable et rempli de bronze, c’est la coulée.
  •  9ème étape : une fois le moule refroidi, il faut le casser à coups de burin pour libérer le bronze.
  • 10ème étape et pas la moindre : il faut assembler les éventuels morceaux, polir la pièce, combler les petits trous laissés par les clous et finir en appliquant des acides pour lui donner sa patine en chauffant la pièce au chalumeau.

A partir de ce schéma on pourrait penser que le fondeur doit se contenter d’appliquer rigoureusement et mécaniquement les règles en la matière pour obtenir un résultat satisfaisant. Bien sûr, aucun artisan sérieux ne peut s’y soustraire mais finalement le savoir-faire individuel, l’expérience, le professionnalisme quant à la manipulation des outils, la gestion des fours et les dosages à pratiquer conjugués à l’amour des matériaux ainsi que les affinités avec le sculpteur font à la fin la valeur et la qualité du modèle terminé.

L’équipe de la Fundición Artística Jaizkibel SL ne laisse rien au hasard. Il suffit d’observer l’exécution synchronisée des tâches effectuées par ses différents membres pour s’en rendre compte.

Ce sont des artisans à l’échelon industriel qui participent à l’acte créatif. Sans eux, la sculpture serait inachevée. Non seulement ils conservent l’esprit et le talent du créateur mais ils donnent à sa création une existence réelle, vivante et pleine d’humanité.

Tous les fondeurs, s’ils connaissent et appliquent systématiquement les règles de la fonderie, n’aboutissent pas pour autant qualitativement au même résultat. Apprendre la technique est une condition nécessaire mais non suffisante pour être un bon fondeur. Le procédé industriel ne permet pas à lui seul de s’approprier une œuvre. A Irun, l’équipe échange longuement avec le sculpteur, multiplie les rencontres, ce qui donne souvent lieu à des modifications invisibles au profane mais réelles. C’est un univers de correspondances et de dialogues qui met en valeur le travail de l’artiste et la substance de l’œuvre. Ici, c’est l’esprit du compagnonnage qui prévaut avec le souci permanent de la perfection en conciliant l’imaginaire de l’artiste et la représentation formelle exécutée par le fondeur. La concomitance de l’esprit et de la main, l’habileté des doigts, le respect des outils et de la matière, la liberté dans la réalisation de la sculpture impliquent que le fondeur est bien plus qu’un tâcheron besogneux. Il est aussi, à son niveau, un véritable artiste.

Et voilà, encore quelques touches de maquillage, et notre grenouille qui a vécu toutes ces étapes sera bientôt prête pour son grand voyage vers son nouveau propriétaire !!!

Photos: Alain Lavelle, Nicole Degrave et internet

4 commentaires sur “Fin des aventures de la grenouille d’André !

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  1. Merci Alain d’avoir bien détaillé tout le processus que notre sympathique grenouille a subi pour devenir une œuvre d’art absolument superbe grâce au talent créateur d’André et à celui du fondeur.

    Aimé par 2 personnes

  2. Jamais je n’imaginais autant d’étapes pour arriver à la réalisation d’une oeuvre en bronze ! l y a le talent du créateur de l’oeuvre évidemment, mais aussi le professionnalisme et l’exigence du fondeur pour arriver à un CHEF- D OEUVRE. Merci Alain d’avoir pris le temps de nous décomposer toutes ces étapes qui certainement vont modifier notre regard la prochaine fois que nous admirerons un bronze.

    Aimé par 1 personne

  3. Impossible de s’imaginer autant d’étapes pour réaliser un bronze .
    Que de travail !
    Merci Alain pour ces précisions.
    Cette grenouille est aussi impressionnante qu’élégante,
    Merci André pour la création .

    Aimé par 2 personnes

  4. Impressionnant! Je n’aurais jamais imaginé qu’autant d’étapes soient nécessaires pour obtenir une oeuvre en bronze! Merci, Alain, d’avoir expliqué en détail aux amateurs que nous sommes combien cette tâche est compliquée, mais aussi profondément enrichissante. Bravo à André pour la création de cette grenouille bien sympathique que nous « comprenons » mieux grâce à l’article d’Alain. Comme le disait Nicole, nous regarderons à l’avenir les bronzes d’un oeil tout à fait différent.

    Aimé par 1 personne

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