Voyage immobile dans l’univers de David Hockney.

par Daniel Sueur.     

David Hockney (né en 1937) Une rétrospective

 

Inutile de courir dans le Yorkshire ou de prendre l’avion pour Santa Monica pour découvrir David Hockney et ses œuvres. Il faut tout de même voyager un peu et se rendre au Centre Pompidou à Paris pour visiter une superbe exposition (jusqu’au 23 octobre 2017) de cet artiste contemporain qui est actuellement le plus apprécié des peintres britanniques.

Lorsque vous visitez la Tate Gallery à Londres – où un parcours chronologique vous fait découvrir cinq-cents ans d’histoire et de peinture anglaise associées -, vous terminez le parcours par d’énigmatiques tableaux de grande dimension représentant soit des couples, soit une piscine. Et comme après deux heures de Lely, Gainsborough, Constable, Turner et autres Bacon, la tête commence à vous tourner, vous  passez rapidement, en culpabilisant tout de même un peu. Comment ? Un peintre moderne, toujours vivant, qui fait du figuratif, et du simplissime de surcroît – à un point tel qu’on dirait de la bande dessinée – et je passe mon chemin sans chercher à savoir ce qu’il veut exprimer par ses peintures ?…

 

La piscine, les deux personnages avec ce chat blanc (j’aime les chats) me sont toujours restés dans un coin de la tête.Photo02

Lorsque j’ai eu connaissance de l’exposition « David Hockney », avec, comme par hasard,

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l’affiche représentant la piscine vue à la Tate (le tableau est intitulé : « A bigger splash »), je n’ai pas hésité : j’allais avoir les réponses aux questions restées posées dans mon subconscient d’amateur d’art.

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David Hockney à l’ouverture de l’exposition au Centre Pompidou, juin 2017

Une exposition comme celle-là, sous forme de rétrospective, à l’occasion des quatre-vingts ans de l’artiste, représente une magnifique opportunité pour découvrir une personnalité, une évolution, un parcours, des influences, bref, un homme obsédé par le service de son art.

 

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Ses débuts auraient pu rester classiques mais il fera déjà preuve d’originalité: de ses cours de dessin dans son Yorkshire natal  il sortira par exemple cet autoportrait fait de collage sur papier journal (1954).

 

 

 

 

 

Lorsqu’il passe au  Royal College of Art de Londres, il ne tarde pas à afficher son homosexualité en réalisant la série des Love Paintings, assimilation de l’expressionnisme abstrait américain et de l’art européen.

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Brossage de dents, début de soirée (22h) 1962

 

 

 

 

 

 

 

C’est à cette époque qu’il rencontre Francis Bacon, un peintre qui l’impressionne parce qu’il « était contre l’abstraction et défendait le figuratif ». Il découvre dans le même temps Picasso et dira plus tard l’influence qu’il a eue sur lui. Du figuratif d’un côté, de l’abstraction ou de la décomposition d’image de l’autre, voilà ce qui va sous-tendre son inspiration tout au long de sa carrière…avec aussi d’autres modes d’expression en fonction de l’évolution de sa vie et de ses rencontres.

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Etre homosexuel dans une Angleterre où l’homosexualité est illégale est très inconfortable, il s’évade en lisant « Cité de la nuit » de John Rechy qui dépeint une Amérique libertaire et moderne. Convaincu qu’il pourra s’y épanouir, il part s’établir à Los Angeles, la ville de l’hédonisme et de la liberté.

 

 

C’est là qu’il va particulièrement apprécier artificialité, modernité et lumière exceptionnelle. Inspiré par les photographies trouvées dans Physique Pictorial, le magazine homoérotique, il peint des nus masculins entrant ou sortant de piscines, ou prenant leur douche.

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Peter, son amant, sortant de la piscine
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Homme sous la douche, Beverly Hills

 

 

 

 

 

 

 

 

Arrêtons-nous un instant sur ce tableau d’Hockney réalisé peu après sa rupture avec l’artiste Peter Schlesinger.

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« Portrait d’un artiste, piscine avec deux personnages » (1972) revêt sans doute une dimension profondément sentimentale. C’est aussi un exercice de plus sur la difficulté du rendu de la transparence de l’eau dans les nombreuses piscines qu’il a peintes : ici Hockney a utilisé de la peinture acrylique diluée dans de l’eau et du liquide lave-vaisselle qu’il a appliquée directement sur la toile brute.

On voit dans les tableaux suivants d’autres approches de la représentation de l’eau en piscine.

 

 

Quelques années plus tard, il reviendra sur le sujet avec vingt-neuf « Paper pools », une série utilisant du papier compressé coloré dans la masse. Ces feuilles épaisses, assemblées, constituent un medium très malléable grâce auquel il progresse dans la capture de la surface miroitante de l’eau.

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Entre 1968 et 1977, Hockney réalisa une série de doubles portraits. La composition est simplifiée, le style est naturaliste avec très peu de détails dans les arrière-plans et des personnages écartés l’un de l’autre. Cet espace entre les personnages et leurs regards qui partent souvent dans des directions différentes créent une tension et une charge psychologique perceptibles.

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Dans le tableau « M.et Mme Clark et leur chat Percy », Hockney représente un couple de deux amis proches puisqu’il a été le témoin de leur mariage. Certains indices peuvent nous donner des clés sur un mariage qui se révèlera de courte durée : Ossie Clark est assis alors que son épouse Célia est debout, tous deux regardent le spectateur comme s’ils cherchaient à s’éviter. L’indépendance des époux est soulignée par la verticale tranchée de la porte fenêtre. Dans une telle atmosphère, le bouquet de lys associé à Célia, attribut traditionnel de la madone, livre un commentaire ironique. Une dernière note sur ce tableau réalisé à Londres alors qu’Hockney était rentré d’une Californie vibrante de soleil : la lumière froide de Londres entrant par cette fenêtre grande ouverte lui aurait posé quelques problèmes, mais je crois pouvoir dire qu’il s’en est magnifiquement sorti.

Dans les années 70-74, David Hockney réside en permanence aux Etats-Unis. C’est alors en peinture la vogue du conformisme et du minimalisme.

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L’artiste s’y conforme avec ici un ciel presque aussi uniforme qu’un monochrome et un building aussi orthogonal qu’un tableau de Mondrian. Toutefois la présence de quelques palmiers au premier plan marque bien que chez l’artiste l’art figuratif fera toujours de la résistance.

 

 

 

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Même rappel de la rémanence du figuratif avec les palmiers d’arrière-plan dans cet autre tableau où le gazon semble coupé au cordeau et les sprinklers figés dans leur activité.

 

 

 

 

David Hockney aura été un perpétuel chercheur de nouvelles formes d’art, et c’est en cela qu’il est un grand artiste. Il s’est particulièrement intéressé à la question de la perspective, cette fameuse troisième dimension qui défie la planéité de la toile.

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Dans son pastiche « Kerby (d’après Hogarth) connaissances utiles » il se plaît à rappeler qu’en 1753 l’artiste peintre et graveur William Hogarth avait, de manière très ironique, indiqué tout ce qu’il ne fallait pas faire en matière de représentation de la perspective. Dans le tableau d’Hockney comme dans la gravure d’Hogarth chacun peut jouer au jeu non pas des sept mais des vingt erreurs !

 

Les plus évidentes :

  • Le fil de la canne à pêche de l’homme au premier plan passe derrière celui du pêcheur assis au bord de l’eau.
  • L’enseigne de la taverne est fixée sur les murs de deux immeubles différents.
  • L’image de cette enseigne est partiellement cachée par des arbres qui sont supposés être dans le lointain.
  • La dame du balcon donne du feu à un personnage qui se trouve sans doute à plus d’un kilomètre de là…

etc…à vous de trouver les autres erreurs de perspective !

Pour Hockney, la perspective est une invention européenne, elle n’existe pas dans les arts chinois ou japonais, où on entre directement dans les paysages.

 

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Dans ce tableau « Nichols Canyon », 1980, le peintre nous montre la ville de Los Angeles telle qu’on la voit lorsqu’on l’approche en voiture. Ce sera son leitmotiv : le spectateur est sans cesse en mouvement, il est dans l’image.

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Il forcera l’argument avec ce « Large interior, Los Angeles », 1988, très cubiste, censé multiplier les points de vue. La perspective avec son point de fuite classique est bien inversée, puisque tout converge vers le spectateur, en une sorte de panorama en fish-eye de la totalité de l’espace.

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Il met sa passion pour les nouvelles technologies au service de son œuvre. Travaillant souvent à partir de photos, l’invention du Polaroid lui donne l’idée de nouvelles compositions, comme avec ce « Kasmin, Los Angeles, 28 mars 1982 », où l’influence de Picasso est toujours présente,

 

 

 

 

 

 

 

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ou ce photocollage « Pearblossom Hwy, 11-18 avril 1986 ». Il lui faudra neuf jours pour prendre les photographies et deux semaines pour les assembler. Il dira de ce tableau : « c’est ma réponse panoramique à la perspective orientée vers un point unique. »….la perspective toujours, comme une obsession !

 

Il sera l’un des premiers à s’acheter une tablette graphique et il s’amuse en envoyant des dessins à ses amis réalisés sur son i-pad. Comme il le dit : « vous dessinez un lever de soleil à 6 heures du matin et vous l’envoyez aux copains à 7 heures ! ».

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Dessin sur i-pad au doigt

 

 

 

 

 

 

 

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Dessin sur i-pad au stylet

Il reste toutefois fidèle à la peinture avec une patiente observation de la nature qu’il représente avec une grande douceur des couleurs, rappelant ainsi Matisse,…

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comme dans cette « Route à travers les collines, 1997 » de son Yorkshire natal.

En février 2017, David Hockney peignait cette étonnante « Annonciation », pastiche de la célèbre fresque de Fra Angelico, (c.1437), qui l’avait enthousiasmé dans son enfance. Regardez bien cette toile…les questions de perspectives n’ont pas fini de le travailler !

Capture annociation

Daniel Sueur, pour le texte – Internet pour les photos. (photographies interdites dans l’exposition)

 

 

 

 

 

 

 

7 commentaires sur “Voyage immobile dans l’univers de David Hockney.

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  1. Quel artiste étonnant que ce David Hockney, toujours à l’affût de nouvelles possibilités d’expression, signe sans doute d’une éternelle jeunesse…

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  2. Belle découverte. Les couleurs acidulées, vertes notamment, à mettre en lien avec celles du Douanier Rousseau ? certaines toiles se rapprochent de l’art dit naïf. C’est surtout toute une vie consacrée à la recherche de l’ART.

    Aimé par 3 personnes

  3. C’est une découverte pour moi cet artiste contemporain ça m’a donné envie d’aller regarder sur le net ses autres oeuvres toutes très colorées. Merci pour cet article.

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  4. On peut effectivement trouver des analogies avec le Douanier Rousseau dans l’oeuvre de David Hockney, je ferais pour ma part plutôt un rapprochement avec Vlaminck et les Fauves, notamment dans les toiles « Nichols Canyon (1980) et Route à travers les collines (1997).
    Cela dit, Hockney est inclassable, même si comme tous les autres il a subi des influences, et c’est très bien ainsi!

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  5. Merci, Daniel, pour ton article que je viens de relire avec grand plaisir. Je connaissais assez peu Hockney et j’ai été heureuse d’en apprendre davantage sur cet artiste hors normes.

    Aimé par 1 personne

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