par Daniel Sueur
Seconde partie
Nous avons rencontré dans une première partie un Hundertwasser artiste bâtisseur avec des idées originales et même révolutionnaires, celui qu’on nommera le « médecin de l’architecture ».
C’est peut-être cette facette de la personnalité de notre artiste qui restera le plus longtemps dans les esprits, tant ses maisons qui semblent parfois sorties de la Belle au bois dormant continuent d’étonner.
Mais chez Hundertwasser, on ne peut dissocier l’homme de l’artiste ; un homme de conviction, qui, dès 1953, a scellé la marque de sa vision du monde dans cette formule-profession de foi qui fondera son rapport avec la réalité extérieure : l’homme a cinq peaux : son épiderme naturel, ses vêtements, sa maison, l’environnement social et la planète.
Il le fera savoir, à maintes reprises, à travers nombre d’expositions, de manifestes, discours, apparitions télé et autres manifestations, notamment en faveur de l’écologie.
Il n’hésitera pas à dévoiler sa première peau et tiendra certaines de ses conférences de presse entièrement nu : c’est pour lui un retour à la nature, tout à fait conforme à ses aspirations. Il déclarera toutefois en conclusion d’un de ses discours : « C’est très difficile. On est exposé à tout quand on n’a rien sur soi. Mais le triomphe est grand. Je me sens très bien. »
Il illustre sa seconde peau en confectionnant ses chaussettes et ses chaussures et en cousant ses vêtements lui-même avec les pièces de tissu qui lui tombent sous la main.
Les « chaussures » d’Hundertwasser.
La maison, sa troisième peau, sera illustrée magistralement par sa période de bâtisseur, décrite précédemment.
Avec, entre autres, la ligne droite, qui n’a pour lui rien de naturel, elle est même « athée et immorale ». Cette obsession marquera toute son œuvre picturale, puisqu’il peint sa première spirale en 1953, lors de son séjour en région parisienne.
Il s’agit ici du « Jardin des morts heureux », (Saint-Mandé, 1953) cimetière écologique où les morts continueraient à vivre à travers les arbres plantés au-dessus de leur tombe.
On peut imaginer le plaisir qu’il a eu de représenter ce « Presque cercle » (Saint-Mandé 1953) où, même dans les rues toutes droites conçues à la règle, la trace de l’homme évolue comme une ligne organique.

La spirale apparaît désormais comme l’élément emblématique de son œuvre peinte. Elle figure l’introversion de la vie, c’est aussi le mythe du labyrinthe, avec toutefois le fil d’Ariane qui permet le retour au point de départ. C’est, jusqu’à l’obsession, l’anti-ligne droite par excellence.
Avec la spirale, mais aussi la goutte, il vient d’inventer le transautomatisme, autre forme de surréalisme, par lequel il rend nécessaire la participation du public devant l’œuvre d’art ; il reprend en fait la notion chère à Marcel Duchamp pour qui ce sont les regardeurs qui font l’art.


(1957)
« Chaque goutte de pluie est un baiser des cieux »
Lorsqu’en 1972, il commence, au cours d’émissions à la télévision, à exiger la modification des façades des immeubles et des maisons, il est déjà un peintre à succès avec derrière lui plus de vingt ans de carrière.
Il prétend alors que les arbres poussant dans et sur les maisons paient régulièrement leur loyer en apportant de vraies valeurs telles qu’oxygène, beauté et silence, en aspirant la poussière et en régulant le climat. Il le traduit par cette aquarelle :


Hundertwasser voudrait mettre du vert partout, aussi bien à la campagne qu’à la ville ; c’est ce qu’il exprime dans ce tableau :
Il va mettre en pratique ses convictions naturalistes en suscitant la plantation d’arbres : il en plantera ou fera planter plus de 60 000 dans le monde entier !
Les quatrième et cinquième peaux vont désormais se révéler de pair, voire se confondre, à travers les différentes manifestations auxquelles l’infatigable Hundertwasser va soit participer directement, soit contribuer au succès par des affiches coups de poing,
…telle cette affiche « plantez des arbres ».
Opération « plantez des arbres », Judiciary Square, Washington (1980)
Il devient un défenseur acharné de la nature et milite pour la protection de l’environnement. C’est à l’occasion d’un symposium sur l’écologie, à Berlin, et de sa tournée dans les universités technologiques de Vienne et d’Oslo qu’il dessine cette affiche qui se veut dérangeante :
Affiche Arbre de Noël 2000
Vous êtes un hôte de la nature-comportez-vous bien !
(1980)
Lorsqu’on le sollicitera pour manifester contre le danger nucléaire, il reprendra, pour l’adapter, l’affiche sur le « planter d’arbres » et en fera une annonce des plus dramatiques.
Plantez des arbres – Combattez le danger nucléaire !
L’obsession du combat pour la protection de l’environnement ne le quittera plus. A une époque pas si lointaine où on ne parlait pas d’effet de serre, de réchauffement climatique, ni d’énergies renouvelables, on imagine Hundertwasser aujourd’hui : quel trublion il ferait ! Il réalise beaucoup d’affiches pour de nombreuses manifestations qui sont autant d’œuvres pour un art engagé.
Conservation week
Nouvelle-Zélande 1974
La nature libre est notre liberté
(1984)
Sauvez les mers
pour Greenpeace et la Sté Cousteau San Francisco (1981)
Affiche pour l’Union Internationale de transports publics (Budapest 1989)
Il a hérité de son père, qu’il n’a pas connu, d’une collection de timbres dont la vente lui servira à payer les frais de sa première exposition à Vienne en 1952. Lui-même passionné de timbres, il est devenu en 20 ans de carrière, pendant lesquels il a dessiné une trentaine de modèles, une célébrité mondiale en matière de philatélie d’art.
En 1979, le président du Sénégal, Léopold Senghor, fait appel à lui pour une série postale sénégalaise.
Il créera d’autres séries philatéliques pour l’Autriche, l’Italie, le Liechtenstein, les Nations unies.
Il est désormais mondialement connu. Il continue à travailler sans relâche et à partir de 1990, il est sollicité de toutes parts. C’est ainsi qu’il créera une série de cartes téléphoniques pour la Poste autrichienne, des montres et jusqu’à des jetons pour le Casino Austria (!)
Montre double-face (1992)
Les chiffres des heures sont sur le bord extérieur
Friedensreich Hundertwasser meurt le 19 février 2000 d’une crise cardiaque à bord du Queen Elizabeth II, alors qu’il rentre « chez lui », en Nouvelle Zélande. Il a 71 ans.
Selon son dernier désir, il est enterré dans sa propriété de Kawakawa, sous un tulipier, sans cercueil, nu et enveloppé dans le drapeau qu’il a conçu à l’occasion d’un concours organisé par le gouvernement de la Nouvelle Zélande.
Ce drapeau représente la fougère arborescente, plante nationale, mais aussi les maoris, ( 15% de la population) et on la retrouve dans la plupart de leurs tatouages.
Il n’avait aucune chance d’être adopté…
Hundertwasser est un pionnier qui a su conjuguer art, écologie, architecture et création individuelle. Il a pour principe la prédominance de la nature, l’importance de la couleur, le refus de la conformité et de l’uniformité.
Il fut l’un des créateurs de l’architecture écologique, et restera source d’inspiration pour des générations de bâtisseurs verts.
« Seul, celui dont la pensée et la vie sont création, peut survivre ici, et dans l’au-delà ».
(Friedensreich Hundertwasser)
Pour en savoir plus : https://hundertwasser.com/
Quel précurseur en matière d’écologie avec un grand respect pour la nature. Nos villes seraient plus gaies si les architectes avaient suivi sa trace même si je pense que c’est utopique dans la société actuelle, mais on peut toujours rêver!
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ll est incroyable ce personnage, mais, non, je n’aime pas ses chaussures ! Par contre, j’aime beaucoup sa montre et ses différentes affiches…
Merci Daniel de nous avoir fait connaître cet artiste avant-gardiste du mouvement écologiste, et amoureux de la couleur
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Le confinement m’oblige à privilégier la troisième de mes peaux, à y tourner en rond (pas en spirale) en méditant sur les visions et les convictions d’Hundertwasser pour un monde meilleur : à rapprocher du « Meilleur des Mondes » d’Aldous Huxley ?
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Je viens de découvrir cet artiste avant gardiste , merci pour ce partage .
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Merci, Daniel pour ce bel exposé sur Hundertwasser. On peut aimer ou détester ses oeuvres, mais je pense en tout cas que son art ne laisse personne indifférent. Sorte de pionnier pour l’écologie et la protection de la planète, il nous secoue, nous fait prendre conscience des abus de notre époque et en cela mérite tout notre respect.
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