par Daniel Sueur
Première partie
Voici un artiste voyageur qui devrait trouver ici toute sa place.
Autrichien de naissance, Friedensreich Hundertwasser va parcourir le monde, pour défendre ses idées, mais aussi pour rechercher sans cesse de nouveaux lieux lui permettant de vivre en constante harmonie avec la nature, et d’agir, à chaque instant de son existence, en complet accord avec ses principes.
C’est ainsi qu’il achètera tout à tour une ferme en Normandie, une scierie désaffectée en Basse-Autriche,

un bateau (le Regentag – Jour de pluie) avec lequel il fera du cabotage entre la Sicile et Venise.
Le Regentag restera amarré dans la lagune de Venise pendant quatre années au cours desquelles il viendra y effectuer de fréquents séjours.
Bouger, bouger encore, à la recherche de lieux toujours plus inspirants…et c’est sans doute en Nouvelle-Zélande, en 1973, que Friedensreich Hundertwasser va réaliser au mieux son rêve de vivre et travailler dans la nature : il y construit une maison, « la bottle house », conçue pour y vivre en autarcie, avec des capteurs solaires, une roue à eau et une station de traitement de l’eau par les plantes.

C’est là qu’il va expérimenter aussi la technique des toits plantés.
Le lecteur aura deviné que c’est le Hundertwasser architecte que nous évoquerons dans cette première partie.
La seconde partie présentera l’artiste peintre, l’écologiste militant et le designer.
C’est toutefois la même philosophie qui guidera Hundertwasser dans ses activités polymorphes : partisan d’un retour à la terre, il considère que l’art est le lien indestructible entre l’homme créatif et la nature.
Dès 1972, Hundertwasser va publier toute une série de textes visant à définir la recette du bonheur par l’habitat, qui doit rester aussi proche que possible de la nature. Il commence par regretter que la profession d’architecte soit réglementée alors qu’en peinture et en sculpture chacun est libre de créer et d’exposer ce qu’il veut. Toute personne devrait avoir la possibilité de construire selon son goût les quatre murs dans lesquels elle habite. Il reste réaliste mais va afficher ses positions de façon très claire :
1 – « Les uns prétendent que les maisons se composent de murs. Moi, je dis que les maisons se composent de fenêtres. Les fenêtres alignées au garde-à-vous sont tristes, les fenêtres doivent pouvoir danser. Le nivellement des fenêtres est insupportable ».
Il revendique alors un « droit à la fenêtre » un aménagement individuel des façades.
« L’habitant d’un immeuble doit avoir la possibilité de se pencher par la fenêtre et – aussi loin que portent ses bras – de gratter et transformer ses murs extérieurs. Et il doit avoir le droit de peindre avec un long pinceau – à portée de sa main – le tout en rose, de sorte qu’on puisse voir de loin, depuis la rue qu’ici habite un homme qui se distingue de ses voisins, ce bétail privé de droits et affecté à ces lieux ! »
2 – « Nous vivons aujourd’hui dans le chaos de la ligne droite, dans une jungle de lignes droites. Que celui qui ne veut pas le croire fasse un effort et compte les lignes droites qui l’entourent et il comprendra; car il n’en finira jamais de les compter. La ligne droite est impie, sacrilège et immorale. La ligne droite n’a rien de créateur, c’est une ligne reproductive et dictatoriale ».
3 – « Lorsqu’un mur se couvre de moisissure, lorsque l’herbe apparaît dans le coin d’une pièce et arrondit les angles géométriques, il faut se réjouir de voir qu’avec les microbes et les champignons, c’est la vie qui entre dans la maison.
Pour sauver l’architecture fonctionnelle de la ruine morale, il faudra répandre sur les parois de verre propres et les surfaces lisses de béton un produit de décomposition afin que le champignon de la moisissure puisse s’y fixer.
Et c’est seulement à la suite de la moisissure créative dont nous avons beaucoup à apprendre que naîtra une architecture nouvelle et merveilleuse ».
4 – En accord avec le traité de paix avec la nature, nous devons rendre à la nature les surfaces que nous lui avons prises pour la construction en réinstallant cette nature sur le toit.
En plus de planter des arbres sur les toits, Hundertwasser propose d’installer des arbres dans les logements, devant la fenêtre ; 1m² doit leur être réservé ainsi l’arbre se développe et pousse vers l’extérieur en créant des irrégularités sur la façade.
En 1973, Hundertwasser franchit une étape décisive dans cet exercice du « devoir d’arbre ». Invité à participer à l’opération Arte-Città dans le cadre de la triennale de Milan, il réalise la manifestation Inquilino Albero: quinze arbres sortant de quinze fenêtres d’appartements donnant sur la via Manzoni, une grande avenue de Milan.
Pour Hundertwasser, l’homme a bafoué la loi naturelle, il a outrepassé ses droits et il doit en conséquence rétablir l’équilibre naturel. Cette proclamation appelle à redéfinir la place et le droit que s’attribue l’homme sur la planète.
L’accord donné par la ville de Vienne en 1980 pour la construction d’un immeuble selon les plans d’Hundertwasser va lui apporter, en même temps que la célébrité, l’occasion de devenir constructeur et d’affirmer sa vocation de « médecin de l’architecture ».
Il construira alors, le plus souvent en collaboration étroite avec de « vrais » architectes, de nombreuses réalisations à travers l’Autriche et l’Allemagne, les plus spectaculaires étant peut-être :
La citadelle verte de Magdebourg
La spirale-forêt de Darmstadt
Le village thermal de Blunau en Styrie
Ou d’autres comme cet immeuble de Plochingen,
l’église de Baernbach,
ou encore le lycée Martin-Luther de Wittenberg.
Hundertwasser n’hésita pas à s’attaquer à l’architecture industrielle, avec la centrale thermique de Spittelau à Vienne,
ou à des endroits inattendus comme les toilettes publiques de Kawakawa en Nouvelle-Zélande.
Pour le Japon, il réalisa ce compte à rebours du 21e siècle à Tokyo
et ce musée pour enfants à Osaka.
Connu dans le monde entier dès 1983 par une exposition itinérante de ses œuvres « L’Autriche montre Hundertwasser aux continents », cet artiste à la personnalité hors du commun, allergique au conformisme ambiant, nous réserve bien d’autres surprises, que nous découvrirons dans une seconde partie.
Artiste original et avant-gardiste qui au-delà d’une apparence excentrique mérite d’être connu.
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Merci, Daniel, pour cet article très intéressant sur un artiste peu ordinaire, toujours à la recherche d’autres manières de recréer un équilibre entre homme et nature. Hundertwasser était un personnage original et talentueux qui a osé affirmer et mettre en oeuvre ses positions, se moquant parfaitement des opinions conformistes de la plupart de ses contemporains.
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Grâce à toi, Daniel, j’ai filé DROIT sur Wikipedia pour en savoir plus sur Hundertwasser !
Il était un visionnaire : comment expliquer autrement que ses projets architecturaux audacieux aient pu si rapidement être réalisés dans plusieurs pays ?
Et peut-être la spirale de la Tour de Babel vue par Bruegel comme les ondulations et les jeux de couleurs de Gaudi (Casa Batlo, Casa Mila, Parc Güell) sont-elles à la source de son inspiration puis de son succès ?
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Extraordinaire et étrange cet architecte que Daniel nous fait découvrir. Autant j’aime ses constructions qui me rappellent un peu les œuvres de Gaudi, autant j’avoue que j’ai un peu de mal à trouver esthétiques les moisissures !
J’attends la suite avec impatience. Merci Daniel !
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On sait qu’Hundertwasser a visité le palais idéal du Facteur Cheval à Hauterives (Drôme), ainsi que les réalisations de Gaudi à Barcelone, puisqu’il s’y est fait photographier à chaque fois.
Ces constructions auront-elles été pour lui source d’inspiration? Pour ma part, j’en doute, tant les convictions de l’artiste en matière d’architecture sont particulières et viennent du plus profond de sa personnalité.
Auront-t-elles eu une influence sur la mise en oeuvre de ses convictions lorsqu’il s’est agi de passer à la phase de construction des habitations? On ne peut évidemment pas l’exclure, encore que, ni le Facteur Cheval, ni Gaudi n’ont réussi à faire autant entrer la nature dans les habitations, ni considéré l’architecte, le maçon et le futur locataire comme un équipe qui devrait, selon, Hundertwasser, travailler ensemble.
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Merci Daniel d’avoir mis à l’honneur cet artiste original, avant-gardiste, écologiste.
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