par Daniel Sueur
Rien ne s’arrange pour Gauguin : tourmenté dans sa vie sentimentale, il pensait oublier ses soucis en rejoignant Van Gogh à Arles. Un Van Gogh à la sensibilité, comme pour lui, à fleur de peau. On l’a vu dans l’article précédent, les choses se sont très mal terminées. Elles n’iront pas forcément mieux dans l’épisode qui suit…
Voyage N°13. Arles – Paris.
Gauguin est logé à Paris chez Emile Schuffeneker, artiste peintre postimpressionniste qui le soutient financièrement dans les moments difficiles.

Il faut qu’il s’occupe ! Dans un étrange geste de solidarité avec Vincent, Gauguin réalise ce pot anthropomorphe, vu dans l’épisode 1, et sur lequel il nous faut revenir : cette tête coupée est un autoportrait mais sans oreilles, et sanguinolent. Inspiré du drame vécu tout récemment par Vincent, mais aussi par le spectacle auquel Gauguin a assisté quelques jours plus tôt, l’exécution par la guillotine du célèbre meurtrier Prado.
Il réalise également cette œuvre qui lui ressemble étrangement : « Le pot de tabac » que Gauguin décrivait comme « La tête de Gauguin, le sauvage ». Ce pot de terre rouge, pétrifié par le feu, incarne la souffrance et le caractère indompté et sombre du peintre. Remarquez le pouce dans la bouche que l’on retrouvera plus tard.
Après six mois de vie plutôt misérable, Gauguin quitte la capitale pour retourner en hâte à Pont-Aven.
Voyage N°14. Paris – Pont-Aven.
Bien entendu, il espère y retrouver Madeleine Bernard. Il découvre qu’elle fréquente son ancien fidèle disciple Charles Laval !
Gauguin, avec une arrogance stupéfiante, commence à se comparer à l’être le plus célèbre jamais trahi par un disciple :Jésus par Judas !

Ses Christs en croix réalisés lors de cet éprouvant été breton sont des autoportraits à peine masqués. Il puise largement son inspiration dans les églises locales et Van Gogh lui a inoculé son goût pour le jaune.
C’est devenu une obsession : l’amoureux au supplice n’en finit plus de s’apitoyer sur son sort malheureux. Jésus sur la croix devient Gauguin, l’homme trahi. Cette étonnante identification au Christ fait naître de grandes œuvres.

On pourrait résumer par : églises bretonnes + amoureux trahi = représentation du peintre en Christ crucifié !

On se souviendra que parmi les personnages qui prient au pied de la croix, il y a invariablement Madeleine. Lorsque les parents de la jeune fille auront fait comprendre à notre peintre qu’il n’était pas question qu’il s’approche d’elle, il s’enfuit aux confins de la Bretagne, dans un hameau dénommé le Pouldu.
Voyage N°15. Pont-Aven – Le Pouldu.

C’est au Pouldu que Gauguin va trouver un nouveau disciple, encore un rouquin, un Hollandais tourmenté, un certain Meyer de Haan.
Voici la buvette de la plage, Gauguin va y loger à peu près un an (1889-1890). L’endroit est isolé de tout, sauvage et primitif. Il n’a pas un sou, mais Meyer de Haan est un homme riche et il va l’aider. En échange Gauguin lui apprendra à peindre. A part son argent, de Haan n’a pas beaucoup d’atouts pour plaire : petit et bossu, râblé.
C’est pourtant lui qui fera la conquête de la propriétaire de cette pension miteuse, la très belle Marie Henri, dite « Marie la poupée » et lui fera un enfant. Notre séducteur, dépité – son mariage est un vrai handicap ! – devra se contenter d’amours ancillaires avec la servante qui dort dans un réduit, en bas, à l’arrière.

De sa chambre, on voit la mer.

(Gauguin 1889)
Les hivers sont rigoureux dans ce coin de Bretagne et il n’y a rien à faire.

Alors, avec l’accord de Marie Henri, Gauguin et de Haan vont refaire la déco !
Sur une porte, cet autoportrait de Gauguin, en saint auréolé, avec les pommes et le serpent qui représentent la tentation, sur l’autre porte, celui de Meyer de Haan en diable, avec ses cheveux en forme de cornes, et des yeux et des mains bizarres.
Sur le même mur, les teilleuses de lin, par de Haan,
Et cet autoportrait de Gauguin portant comme signature « Bonjour M. Gauguin »
Gauguin enchaîne les aventures amoureuses.
Il a 41 ans, il met enceinte une jeune couturière, Juliette Huet, qu’il n’hésite pas à montrer dans ce tableau au titre explicite « la perte du pucelage » ou « éveil du printemps ». Le renard, c’est le symbole indien de la perversité.

C’est une débauche de couleurs violentes, crues, contrastées qui s’étagent en bandes horizontales, terre brune, corps blanc, herbe bleue, colline rouge, prairie verte, mer bleue sombre, ciel bleu clair, ordonnancement que viennent perturber des objets comme les rochers gris-verts au premier plan, la fleur/oiseau de la virginité perdue sur sa cuisse, le perfide renard beige près de son cou, emblème du dépuceleur, de Gauguin sans doute, mais aussi les meules de foin, la procession bretonne, les nuages.
Bon, la symbolique est un peu lourde, fleur virginale, renard-sexe, procession de rédemption, mais la composition colorée est si vibrante, si criarde qu’on ne peut s’en détacher.
Mais l’œuvre qui traduit le mieux la tempête sexuelle qui l’agite, c’est ce magnifique combat de lutte sur bois sculpté du musée de Boston.
Le personnage en haut à droite, le pouce dans la bouche et l’alliance au doigt de sa main droite, c’est Gauguin lui-même. Il veut attirer de force vers lui une femme aux formes plantureuses en lui promettant :
soyez amoureuses…
L’œuvre est bien le reflet des tourments de l’artiste, avec à nouveau ce renard pervers qui donne une touche ironique à la scène.
Gauguin est bien déterminé à quitter la France. Emile Bernard a visité l’exposition universelle de 1891 et en a rapporté une brochure sur Tahiti, « colonie française paradisiaque où, pour se nourrir, il suffit de tendre le bras et de cueillir des fruits ». Il n’en faut pas plus pour convaincre Gauguin.
Et c’est bien ce qu’il trouvera sur place lorsqu’il peindra ce tableau.

Voyage N°16. Le Pouldu- Paris- Copenhague.
Il écrit une lettre au Ministère des Colonies et obtient de l’Etat d’être envoyé à Tahiti en mission officielle.
Mars 1891 – Avant de quitter la métropole, une dernière visite à Copenhague s’impose.
Ressent-il le besoin de revoir sa famille avant d’entreprendre un voyage dont il pressent qu’il sera le dernier ?
Mette a pris du poids et perdu de sa féminité.
Mais son Aline est ravie de le voir, ainsi qu’Emile.
je viens de regarder les 4 épisodes.Remarquable travail avec des oeuvres magnifiques.
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Cet épisode a, comme le précédent, l’avantage de nous faire connaître l’influence de certains peintres sur Gauguin (épisode 3), et l’influence que Gauguin a eu sur d’autres peintres ( Meyer de Haan).
L’artiste est passionnant, mais l’homme….
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« Bonjour M.Gauguin », dans ce tableau, ressentez-vous enfin un instant de paix à un carrefour (de votre vie) ? En tout cas, autour de vous, le paysage est doux, paisible, profond. Vous semblez sortir d’un chemin enterré. Le mouvement est suggéré par la position des pieds du promeneur et de la passante mais il y a cette barrière… il va falloir oser la pousser, une fois de plus, n’est-ce-pas ? « Bonne chance, M. Gauguin ».
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Oui, Danielle, voilà une belle interprétation de ce tableau…la nature pour tenter de se ressourcer et d’oublier pour un temps ses soucis? Puis se résoudre à revenir affronter ses démons.
Et ces couleurs!!!!
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On continue le voyage à travers l’oeuvre de Gauguin et Daniel nous fait partager ses différents lieux qui ont si bien inspirés ce génie.
Merci.
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Me promenant sur le site de AEV, je viens de relire avec grand intérêt ce quatrième épisode des voyages de Gauguin. Décidément, c’était vraiment un homme tourmenté en permanence, à la sexualité à la fois exubérante et malheureuse. On a bien l’impression qu’il a chaque fois emmené ses démons avec lui, lorsqu’il a quitté un endroit pour se rendre dans un autre. Il n’est pas parvenu à leur échapper. Merci, Daniel, de nous avoir mieux fait connaître le caractère de Gauguin et montré un grand nombre de ses peintures.
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