Danielle Morau
Johann Christoph Friedrich von SCHILLER et Johann Wolfgang von GOETHE à Weimar de 1795 à 1805
Tout le monde a deviné : c’est le moment pour Friedrich von Schiller de faire son entrée sur la scène de WEIMAR … Mais qui est Schiller ?
Originaire d’une petite ville proche de Stuttgart, au sud de l’Allemagne, Friedrich Schiller choisit d’étudier la médecine militaire tout en se consacrant à la poésie et à la philosophie. En 1781, âgé de 22 ans, il publie « Les Brigands ». Cette pièce contestataire obtient un vif succès à Mannheim mais lui attire le courroux du duc de Stuttgart qui l’envoie aux arrêts pour quinze jours. Dès sa sortie de prison, le 22 septembre 1782, Schiller juge plus prudent de fuir à Mannheim mais ses amis le préviennent que ce lieu n’est pas sûr.
Commence alors une errance de plus de 2 mois, à pied et sans argent, en compagnie de son ami Streicher. Ces deux hommes sont des proscrits, ils n’appartiennent de droit à aucun des Etats d’Allemagne : Schiller se considère comme « citoyen du monde ».


Le 7 décembre 1782, il trouve refuge à Bauerbach, à moins de 100 km au sud de WEIMAR, auprès de la mère d’un ami d’école. Celle-ci, grâce à ses relations, obtiendra le pardon du duc de Stuttgart.

Dès 1783, Schiller revient à Mannheim pour faire jouer sa nouvelle pièce « La conjuration de Fiesque ». Il commence « Don Carlos » et rencontre le duc Charles-Auguste de Saxe-Weimar qui, impressionné par la lecture du premier acte, lui propose un poste de conseiller, comme il l’avait fait pour Goethe, dix ans plus tôt.


Schiller accepte : il connaît la réputation de WEIMAR qui devient peu à peu le centre de la littérature allemande. Il sait qu’il y jouira d’une grande liberté de penser et d’écrire.
Après deux années passées à Leipzig et auréolé de gloire grâce au succès de « Don Carlos », Schiller arrive à WEIMAR en août 1787. Il espérait y rencontrer le duc, il voulait aussi faire la connaissance de Goethe, son aîné de dix ans. Tous deux étant absents, il se lie avec Wieland à qui il avait déjà fourni des articles pour son journal littéraire « Le Mercure allemand ». Il écrit à un ami : « J’ai atteint l’objet de mes désirs, je suis à Weimar… Tu connais les écrivains dont l’Allemagne est fière, un Herder, un Wieland et d’autres encore ; je vis au milieu d’eux. Que de choses excellentes à Weimar ! Je compte bien finir mes jours dans cette ville et y trouver une patrie. »
Grâce à cette citation, je vais enfin pouvoir aborder le cœur de mon sujet : essayer de comprendre comment cette petite ville WEIMAR, sans jouer de rôle particulier économique ou politique au sein de la multitude des Etats de l’empire germanique, a pu en devenir le centre culturel au 19e siècle. Dans les deux premiers épisodes de cette découverte de Weimar, nous avons suivi la tradition de la cour de Weimar de s’attacher les grands artistes, de CRANACH au 16e siècle à BACH au début du 18e siècle. Ce goût pour les Arts se poursuit avec la duchesse douairière Anna-Amalia et son fils Karl-August.

En effet, en 1772, la duchesse avait réussi l’exploit d’installer à WEIMAR Christoph Martin Wieland comme précepteur de ses deux fils : déjà célèbre pour avoir été le premier à traduire Shakespeare en allemand, il était aussi l’auteur d’un livre dressant le portrait du souverain idéal. On le désignait comme le « Voltaire allemand ».

Le duc Karl-August a fait venir Goethe en 1775 et c’est grâce à celui-ci qu’en 1776 Johann Gottfried von Herder accepte le poste de premier pasteur de l’église Saint-Pierre-et-Paul à Weimar. Il y attire tout son réseau de relations littéraires.
Quant « aux autres » signalés par Schiller, il s’agit notamment de KNEBEL, poète lyrique en liaison avec des sommités intellectuelles de l’époque et précepteur du frère du duc de Weimar ; des frères STOLBERG, musiciens-acteurs-chanteurs ; de MUSAEUS, conteur, précurseur des Frères Grimm …
Schiller se sent à l’aise dans ce cercle de grands esprits mais sa première rencontre avec Goethe revenu d’Italie n’est pas concluante. Le 12 septembre 1788, il écrit : « toutes nos idées sont différentes. Cependant, on ne peut rien conclure d’une rencontre comme celle-ci : le temps nous apprendra le reste ».
Goethe lui fait obtenir un poste de professeur d’histoire à l’université d’Iéna, attachée au duché de Weimar. Schiller commence ses cours au printemps 1789 avec grand succès. Malgré ses faibles revenus, il épouse Charlotte de Lengefeld le 22 février 1790. Gravement malade dès 1791, il a besoin du plus grand repos : deux riches admirateurs danois lui offrent une pension de mille thalers pendant trois ans. Le couple s’installe près de Stuttgart pour ne revenir à Iéna qu’en 1794.

Le 20 juillet 1794 est une date importante dans l’histoire de la culture allemande. Ce soir-là, Schiller et Goethe sortent ensemble d’une conférence et engagent la conversation sur ce qui vient d’être dit. Ils font alors réellement connaissance, prenant conscience mutuellement de leurs différentes approches du monde des idées. Commence alors une amitié profonde, et les rencontres se multiplient, d’abord à Iéna puis à Weimar où Schiller s’installe fin 1798.

L’Âge d’or de Weimar commence avec la collaboration étroite de Goethe et de Schiller à partir de 1795 et donne naissance au classicisme allemand. Tous deux ont une haute idée du poète qui doit exprimer toute la civilisation dans laquelle il vit et rechercher l’universalité du savoir.
Pour diffuser leurs idées, ils créent, dès janvier 1795, une nouvelle revue « Les Heures » avec des articles sur la poésie, la littérature, la philosophie, l’histoire… Goethe, Schiller, Herder, Kant, Humboldt en furent les signataires prestigieux.
En 1796, Goethe termine « Les années d’apprentissage de Wilhelm Meister », le premier grand roman de formation allemand. Schiller en sera l’un des tout premiers lecteurs.
Mais leur point d’ancrage fut le Théâtre.

A la demande du duc Karl-August, Goethe était chargé de l’activité théâtrale dans la petite ville. Une nouvelle salle est inaugurée en 1798 avec « Le Camp de Wallenstein » drame historique de Schiller : le public ovationne cette réflexion sur les bouleversements liés à la Révolution Française.
Schiller fournit ensuite une série de chefs-d’œuvre, malgré sa santé chancelante : « Les Piccolomini » puis « La mort de Wallenstein » en 1799, « Marie Stuart » en 1800, « La Pucelle d’Orléans » en 1801, la « Fiancée de Messine » en 1803 et « Guillaume Tell » en 1804.
Rappelons au passage que Giuseppe VERDI créera des opéras à partir de « Don Carlos » et de « La Pucelle d’Orléans » tandis que Gioachino ROSSINI sera inspiré par « Guillaume Tell ».

Les hauteurs tonnent, le sentier tremble ;
L’archer est sans peur sur ce chemin vertigineux ;
Il s’avance hardiment
Sur des sentiers de glace ;
Là nul printemps ne brille,
Nul rameau ne verdit.
Miné par la tuberculose, Friedrich von Schiller, anobli depuis 1802, s’éteint le 9 mai 1805 : il a 46 ans.

Goethe rend hommage à son ami en lui dédiant un poème : « (son) esprit n’avait cessé de progresser à pas de géant au sein des valeurs éternelles du vrai, du bon, du beau ».
Terrassé par cette perte, Goethe écrit : « Je devrais commencer une vie nouvelle, mais, à mon âge, tous les chemins sont fermés. Mon regard ne porte plus qu’à quelques pas devant moi ; je fais ce que chaque jour commande, sans penser à l’avenir ». Il est désorienté, il a perdu l’habitude de marcher seul. Il déclare aussi : « J’ai cru me perdre moi-même. Un être m’a quitté dont j’étais la moitié ».
Il lui reste encore 27 ans à vivre.

4.Klopstock
6.Herder
3.Wieland 5.Lessing 2.Schiller
1. Goethe
Toujours aussi didactique et passionnant.
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C’est un vrai plaisir de découvrir au fil des épisodes la richesse de la vie culturelle de Weimar au cours des derniers siècles. Merci pour ce feuilleton !
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Une époque où l’Europe entière était préoccupée par ce qui se passait alors en France: la Révolution! que Schiller s’en soit inspiré pour son « Camp de Wallenstein » n’a rien d’étonnant.
Cette série d’articles m’a appris bien des choses sur cette partie de l’Europe alors tellement morcelée: des centaines de territoires, ce qui n’empêcha pas la manifestation de l’esprit humain, à travers des auteurs illustres comme Goethe et Schiller, mais aussi bien d’autres, peut-être moins connus, mais qui ont contribué au renom du Romantisme allemand.
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J’apprécie qu’Alain ait été sensible au souci didactique qui est le mien car je dispose de beaucoup de documentation et mon principal souci est de simplifier, de suivre un fil directeur pour rendre attrayant, si possible, chaque épisode.
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Merci Nicole pour ta curiosité et ton enthousiasme : j’espère que désormais ce mot « WEIMAR » aura une forte résonance culturelle chaque fois que tu le liras ou l’entendras ! »
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Tu as vu juste, Daniel : la révolution française faisait bouillonner les esprits dans toute l’Europe et Schiller était connu à Paris. Pour la petite histoire, sache que DANTON a signé, le 6 septembre 1792, une loi « qui confère le titre de citoyen françois à plusieurs étrangers. On y lit « Un membre demande que le sieur GILLES, publiciste allemand, soit compris dans la liste de ceux à qui l’assemblée vient d’accorder le titre de citoyen françois ; cette demande est adoptèe. » GILLES = SCHILLER ! et ce dernier ne l’apprit qu’en 1798, 6 ans plus tard …
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Passionnant, vivement la suite
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Jean-Pierre, je suis très heureuse de votre vif intérêt pour « mon » feuilleton mais désolée de ne pouvoir satisfaire votre impatience pour la suite car le quatrième épisode n’est pas encore écrit ! Merci de votre chaleureux commentaire qui m’incite à reprendre la plume, au plus vite.
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Moi aussi , j’aime bien. J’apprécie aussi la carte et les illustrations qui rendent « vivants » ces auteurs et leur époque !
La ville de Weimar connait-elle votre travail ?
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Marguerite, vous êtes la première à noter l’intérêt des illustrations : je m’en réjouis car ce sont mes photos pour 90% et je ne savais pas encore, quand je les ai prises à Weimar, que je ferai un article sur ce voyage ! J’ai donc dû adapter aussi mon texte aux photos dont je disposais… Ce ne fut pas toujours facile, vous l’imaginez.
Pour répondre à votre question, sachez que je vais repartir à Weimar spécialement pour pouvoir écrire les 2 derniers épisodes que j’ai annoncés. Je passerai sans doute à l’Office du Tourisme pour leur offrir les 4 premiers épisodes ; ça peut les intéresser de les traduire en anglais pour toucher des touristes pas spécialement connaisseurs de la vie culturelle allemande, comme moi d’ailleurs !
Merci infiniment pour votre commentaire.
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la connaissance de Weimar c’est bien ,mais trop pointûe pour ma petite tête.je vois que tu es toujours avide de connaissances au point d’écrire un feuilleton sur Weimar.le cercle des grands esprits et sur le classisisme ,trop compliqué pour moi. néanmoins pour courage dans tes recherches.
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Mon cher ami Moucazambo, je viens de lire avec émotion ton commentaire si juste et sincère. L’important est que tu lises ces épisodes et mieux que tu les relises : il n’y a rien de compliqué car c’est seulement l’histoire d’hommes de génie qui ont fait la renommée d’une ville ! Et tu peux aussi lire d’autres articles maintenant que tu connais ce site.
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Bonjour, cet article est très intéressant, merci à vous pour toutes ces informations !
Je travaille actuellement sur Schiller dans le cadre d’un partenariat avec des étudiant.e.s de Thüringen et j’aimerais beaucoup reprendre la citation de Schiller à Wieland. Cependant je n’arrive pas à la trouver en allemand. Pourriez vous me dire d’où provient-elle et/ou la transmettre en allemand ?
Encore merci pour vos explications !
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Bonjour,
Je viens de lire votre commentaire et vous remercie de l’intérêt que vous portez à notre site. Concernant votre demande, je m’empresse d’en faire part à l’auteur de l’article. Cordialement.
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Je suis très heureuse que mon article vous ait plu et je vous remercie pour votre commentaire.
Malheureusement, un certain temps a passé depuis que je l’ai rédigé et j’avoue ne plus savoir dans quel ouvrage j’avais trouvé cette citation. De toute façon, elle était traduite en français.
Voici les ouvrages que j’avais utilisés :
1895, Editions HACHETTE, « Goethe et Schiller » par A. BOSSERT
1954, Editions LA PALATINE, « Goethe et la Cour de Weimar » par A. FAUCHIER-MAGNAN
1994, Editions LEIPZIG, « Weimar, guide d’une ville européenne de la culture » par S. SEIFERT
2004, Editions L’HARMATTAN, « Weimar à l’époque de Goethe » par Jean DELINIERE
2016, Editions BLEU NUIT, « Johann Sebastian BACH » par Eric LEBRUN
2019, Editons Fayard/Mirare « La musique des voyages » par Corinne Schneider
J’espère que ma réponse vous satisfera.
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