Récit de voyage par Nicole Imbert-Degrave.
L’Astoria, un des plus vieux paquebots de croisière au monde, fut notre « résidence » pendant plus de 40 jours pour une transatlantique qui devait nous amener dans le Nordeste du Brésil pour une découverte de l’Amazonie.

« L’Amazone, l’Amazone !!! », le cri a retenti sur le pont, bientôt relayé par l’annonce au micro du commandant. Et ce fut un branle-bas, tout le monde se précipitant sur le pont pour admirer… des traces boueuses dans l’eau.
Cela faisait maintenant 7 jours que nous avions quitté Mindelo au Cap Vert et que notre horizon était sans limite.
Que du bleu et de la houle, le bleu du ciel, le bleu de l’océan, les journées s’étiraient lentement au rythme des conférences, des activités proposées par l’équipage et des couchers de soleil plus sublimes les uns que les autres.
Et voilà que soudain nous touchions au but, nous allions pénétrer sur cette terre si pleine de mystères et de légendes.
Mais dans l’immédiat, c’était surtout une trace jaunâtre qui flottait à la surface de l’eau, salissant l’immensité bleue et verte de l’océan.C’est ainsi que se fit notre premier contact avec l’Amazonie
Il faut en effet savoir que l’Amazone a un degré de salinité et un débit tellement différent de celui de l’Atlantique qu’il faut environ 200 km au large des côtes pour que les deux eaux enfin se mélangent. Nous avons donc poursuivi notre progression, la tache brune s’élargissant de plus en plus sur l’eau, et le lendemain, dès le lever du soleil, nous avons enfin vu les côtes brésiliennes.
Depuis le pont, nous pouvions déjà apercevoir une muraille verte sur les berges. L’Astoria a poursuivi son voyage entre les deux rives, séparées de dizaines de km, et petit à petit, la vision s’est faite plus précise.
Sur des bancs de sable boueux, poussait une végétation exubérante où des arbres, des arbustes, des fleurs et des lianes s’entremêlaient, chacun cherchant à se dégager, le tout formant un mur végétal derrière lequel on imaginait des formes de vie plus ou moins sauvage, des tribus indigènes aux rites étranges, tout un monde surprenant, inouï et dangereux rempli de mythes et de légendes.
Et, alors que notre bateau progressait toujours, croisant au passage quelques troncs d’arbres flottant sur les eaux fangeuses comme des monstres marins sortis de quelques récits allégoriques et allant à la rencontre de leurs fidèles, nous avons approché des dauphins roses, jaillissant hors de l’eau et colorant, l’espace d’un éclair, le flot brunâtre du fleuve.
L’histoire veut que ces dauphins encore appelés « botos » puissent se changer en beaux garçons vêtus de blanc et portant chapeau. Ainsi transformés, ils se rendent dans les bals et séduisent les jeunes filles…pour les féconder. C’est ainsi que selon cette légende, lorsqu’une fille est enceinte d’un inconnu, le coupable est …le boto !
Notre remontée du fleuve se poursuivait, les berges nous semblaient de plus en plus impénétrables, une chaleur lourde et moite, propre aux climats équatoriaux, nous enveloppait, provoquant une sorte de léthargie sur l’ensemble des passagers.
Par instants, des taches blanches surgissaient sur les berges, correspondant à des échassiers venus se restaurer.
Puis, ce furent des petites barques transportant des familles entières qui firent leur apparition.
Après Santarém, nous approchions de Boca de Valeria, un des premiers villages indiens sur cette rive de l’Amazone.
Mais avant de poser pied à terre, il n’est peut-être pas inutile de parler un peu de l’Amazone. Ce fleuve a toute une histoire.
D’abord géologique, il faut en effet savoir qu’à l’origine, les eaux du bassin amazonien se déversaient dans …le Pacifique, puis il y eut le tremblement de terre et la sortie des Andes qui ont surélevé l’extrémité occidentale et de ce fait inversé le cours du fleuve. L’Amazone prend sa source au Pérou sur les pentes du volcan Mismi à 5.507 m d’altitude, et change plusieurs fois de nom. C’est d’abord l’Apurimac (torrent de montagne), puis l’Ucayali, ensuite l’Amazone au confluent avec le Marañón, mais dès que le fleuve passe la frontière du Brésil, il devient le Rio Solimões jusqu’à Manaus, où là il redevient l’Amazone. On voit bien que l’histoire de ce fleuve long de plus de 6.800 km est déjà hors du commun, mais tout sur l’Amazone et en Amazonie est démesuré. En quelques chiffres : 1.100 affluents, 250.000 m³ de débit d’eau par seconde, c’est aussi 20 % des eaux fluviales du monde, et une pente si faible que la marée remonte sur plus de 1000 km, ce qui permet à des poissons d’eau douce de se retrouver dans l’océan, et inversement, à des requins de remonter jusqu’à Manaus (soit plus de 2000 km au-delà de l’embouchure). Le bassin amazonien quant à lui représente treize fois la France et s’étend sur neuf pays.
Et une histoire tout court, lorsque le 24 juin 1541 Franciso de Orellana, parti à la recherche des mines d’or d’El Dorado est attaqué par la tribu des Indiens Tapuyas dans laquelle des femmes, libres et combattantes, armées d’arcs et de flèches, se mêlent au combat. Orellana fait le rapprochement avec les Amazones de la mythologie grecque, et c’est ainsi que le fleuve devint l’Amazone.
Mais revenons à notre débarquement sur cette terre si pleine de secrets. L’Astoria venait de jeter l’ancre et, les chaloupes mises à l’eau, nous nous apprêtions à débarquer, accueillis par une sympathique « petite foule d’enfants », pour qui l’arrivée d’un paquebot comme l’Astoria était un événement. C’est ainsi que nous avons déambulé, accompagnés de nos jeunes amis sur les berges de Boca de Valeria. Le village est adossé à la jungle et en bordure du fleuve.
Toutes les maisons sont peintes, parfois décorées de dessins, les fenêtres n’ont pas de vitres et toutes les habitations sont montées sur pilotis, sachant que lors des hautes eaux, l’Amazone peut assez rapidement dépasser de plus de 15m son niveau actuel.
La rencontre avec les villageois fut chaleureuse et instructive, les enfants, avides d’apprendre et d’échanger souhaitaient nous montrer leur école, leurs maisons et leurs animaux de compagnie (petit caïman, toucan, paresseux…).
Nous étions loin de nos chats et chiens domestiques !
Mais notre désir était de pénétrer plus profondément dans la jungle, aussi, contre quelques dollars, nous avons pu avoir les services d’un pêcheur qui a accepté de nous conduire à son village sur un haut plateau, et nous voilà partis sur une étroite pirogue à travers la mangrove.
Après avoir serpenté pendant plus d’une heure entre les arbres et les racines inondés, nous accostions sur une petite plage et entreprenions la montée d’un chemin escarpé.
Le passage était étroit. La végétation envahissait le moindre centimètre carré.
Par endroits, des fleurs d’une beauté éclatante éclairaient ces murs de verdure.
Enfin, nous arrivions au village, planté en haut de la colline avec son église, son école, sa place centrale et sa maison communale sur laquelle était accrochée une plaque en l’honneur du Président Lula. En effet, les Amazoniens sont dans l’ensemble très reconnaissants à leur ancien Président pour ses prises de position en faveur de la forêt et des Indiens. Ce dernier a, semble-t-il, beaucoup œuvré contre la déforestation et en faveur d’une amélioration de la vie des Indiens d’Amazonie. Il a, entre autres, dans ce village fait financer l’installation d’Internet, afin de relier les habitants de la forêt au reste du monde, comme quoi, traditions et modernité sont compatibles…
Mais notre visite ne pouvait durer trop longtemps, nous devions rejoindre les autres pour réembarquer et regagner l’Astoria.
A nouveau le fleuve, toujours aussi brun, les rives à la sombre densité et à la canopée imposante désespérément vertes et par endroit des habitations isolées, montées sur pilotis, et qui, à la période des hautes eaux, partent à la dérive sur le fleuve, toujours ce climat moite et poisseux, cette impression que le temps est immobile.
Parfois, quelques bateaux à étages, chargés de passagers pour la plupart couchés dans des hamacs nous croisaient en nous saluant.
En Amazonie, le seul moyen pour se déplacer est le bateau (à l’exception bien sûr de l’avion sur les grandes villes) aussi y a-t-il un certain trafic fluvial pour permettre aux habitants de se ravitailler ou plus simplement de se rencontrer et d’avoir un minimum de vie sociale.
Enfin, après une nouvelle nuit et une demi-journée de navigation, surgissait, sortie de nulle part, Manaus. C’est un choc pour le voyageur qui a remonté pendant des jours et sur près de 2000 km l’Amazone que d’arriver dans ce port moderne en avant-poste d’une ville grouillante de monde et de boutiques. Partie avec encore dans les yeux les scènes du film Fitzcarraldo (où l’on voit Claudia Cardinale et Klaus Kinsky évoluer dans le Manaus au temps du caoutchouc roi (de W. Herzog), et encore en tête les airs d’opéra et la voix du grand Caruso, la surprise fut de taille !
Manaus est une ville moderne, marquée par son histoire, au confluent du Rio Negro et du Solimões. Depuis 1967, c’est une zone franche avec un pôle industriel important.
De la brève période euphorique « de la fièvre du caoutchouc », il ne reste que quelques traces dont la Praça de São Sebastião, dont le dallage représente le partage des eaux, et le fameux opéra dont la construction, plusieurs fois interrompue s’étala finalement sur 17 années. Ce bâtiment, œuvre de grands aventuriers plus ou moins recommandables, devait mettre Manaus sur le devant de la scène en en faisant un des hauts lieux de la culture brésilienne.
Sa gloire fut brève ; inauguré en 1896, il ferma en 1925 à la suite de la chute des cours du caoutchouc, et il fallut attendre 1987 pour que des travaux de rénovation soient entrepris et lui redonnent son faste d’antan.
Pratiquement tous les matériaux ont été acheminés par bateau et proviennent en grande partie d’Europe (les fameuses tuiles vernissées aux couleurs du drapeau brésilien viennent d’Alsace, les lustres de Murano, l’acier des murs d’Angleterre, le marbre des escaliers et des statues d’Italie, le rideau de scène représentant le partage des eaux a été peint à Paris).
Enfin, on ne quitte pas l’opéra sans lever la tête vers le plafond où ont été peints les pieds de la Tour Eiffel vus de dessous partageant en quatre l’espace, avec à chaque pied une représentation de la danse, la musique, la tragédie et l’opéra.
Seule particularité typiquement amazonienne, les pavés devant l’opéra sont faits d’un amalgame de caoutchouc et de pierre, afin d’étouffer le bruit des calèches des retardataires. C’est donc dans ce décor somptueux que nous avons écouté le soir un excellent concert de jazz et le lendemain, avant de repartir, nous avons parcouru les rues et surtout le marché de Manaus, où sous une halle immense, on peut trouver toutes les plantes médicinales possibles et imaginables dans un climat bon enfant.
Le lendemain, en petits groupes, sur des pirogues nous remontions le Rio Negro à la découverte de la jungle amazonienne. Là encore, nous pouvions constater un nouveau partage des eaux entre le Rio Negro, très sombre et l’Amazone marron.
Ce fut une excursion passionnante.
A peine descendus des pirogues, nous attaquions la montée dans la jungle sur une sorte de pont de singe… avec une petite armée de ouistitis qui descendaient de tous les arbres proches pour venir nous entourer et nous accompagner.
Plus loin, ce fut une jeune Indienne qui venait de capturer un bébé anaconda et qui accepta de se faire prendre en photo…la balade se poursuivait, et nous étions à l’affut du moindre mouvement au sol ou dans les airs.
Tout était sujet à photos, en effet, la flore amazonienne compte environ …390 milliards d’arbres de 16.000 espèces différentes et 40.000 espèces de plantes souvent soignantes, mais pouvant aussi être des poisons mortels. Et il en est de même pour ce qui est de la faune avec plus de 450 espèces de mammifères différents, 1.294 espèces d’oiseaux, 378 espèces de reptiles, plus de 2.200 espèces de poissons dont certains sont encore totalement méconnus, et 2,5 millions d’insectes différents. Là aussi, il faut oublier nos références, les sauterelles, fourmis, araignées… font souvent le double ou le triple de la taille de celles que nous connaissons en Europe, avec en plus un degré de dangerosité important. Entourés, cernés par la végétation à droite, à gauche, avec le soleil qui filtrait difficilement à travers un plafond de branches et de feuilles entremêlées, on ne pouvait que réaliser combien nous étions minuscules dans cet univers hors du commun. Notre randonnée, malheureusement trop courte, nous avait cependant permis d’approcher de plus près ce monde à la fois fascinant et terrifiant mais contenant toutes les richesses et les dangers de la terre.
Les sirènes de l’Astoria avaient retenti et les sirènes du port avaient répondu, saluant de belle manière notre départ pour Parintins à environ 400 km au sud-est de Manaus où nous attendait le spectacle du Boi- Bumbá. Ce n’était pas la représentation officielle, car celle-ci a lieu chaque année pendant 3 jours du 30 juin au 2 juillet, mais c’était une troupe de plus de 100 musiciens et danseurs qui en faisaient partie et qui pendant plus de deux heures exécutèrent pour nous la danse du Boi-Bumbá (littéralement Frappe-Bœuf). L’histoire du Boi-Bumbá est le reflet de la culture amazonienne, marquée par l’esclavage, la faim et les croyances surnaturelles.
L’origine de cette fête remonte au XVIIIème et au fil des années a été enrichie par les « caboclos » (paysans métis) venus chercher fortune lors de la fièvre du caoutchouc. Ainsi, la légende veut qu’un riche fermier, confiant son bœuf préféré à son employé le retrouve mort. En effet, l’esclave noir en charge de la garde du bœuf avait tué ce dernier pour lui prendre la langue afin de satisfaire les désirs de son épouse enceinte. L’esclave, pour échapper à la colère de son maître fait alors appel au sorcier qui ressuscite le bœuf et tout est pardonné !
Ce fut donc dans une débauche de plumes, de paillettes, de costumes, de décors mobiles plus extraordinaires les uns que les autres, et de musique assourdissante que nous avons pu admirer un spectacle où se mélangeaient des rites tribaux et leurs danses, des marionnettes géantes et du carnaval
Les scènes s’enchaînaient rapidement, la musique ne s’arrêtait pas, les décors mobiles passaient et repassaient pendant que les danseurs s’agitaient au rythme d’une samba déchaînée.
Finalement, à l’invitation des danseurs, nous avions rejoint la troupe pour danser avec eux et ainsi admirer de plus près leurs costumes absolument incroyables avec une telle profusion de plumes que l’on en vient à se demander s’il reste encore un oiseau en Amazonie avec ses plumes sur le dos !
Un petit verre de Caïpirinha, et nous voilà partis à la découverte de Parintins. Ce fut en cyclo-pousse que l’on traversa la ville pour aller admirer les murs décorés de peintures en relief retraçant l’histoire et les mythes propres à l’Amazonie.
Mais, la nuit commençait à tomber, il nous fallait rejoindre l’Astoria qui devait lever l’ancre pour une nouvelle destination.
Dernière escale avant Belém: Alta Do Chão, le St Tropez de l’Amazonie avec la plus belle plage de sable blanc du Brésil et une eau cristalline. Après avoir navigué sur toutes ces eaux plus sombres les unes que les autres, Alta Do Chão est une véritable invitation à la baignade et au farniente !
Il y aurait encore beaucoup à évoquer, aussi, amis lecteurs et amateurs de voyages lointains, n’hésitez plus et allez à la découverte de cet étrange monde si grandiose.
Cependant, on ne peut pas quitter l’Amazonie sans s’inquiéter de la déforestation qui après s’être accélérée entre 1991 et 2004 s’est, certes, un peu ralentie (2012 étant l’année du taux de déforestation le plus faible), mais si on se base sur le taux de déforestation de 2005, on estime que dans 20 ans 40 % de la forêt amazonienne aura disparu. Des prises de conscience ont eu lieu, des engagements ont été pris par les politiques pour reboiser, en particulier en 2015, mais à ce jour, la forêt continue encore de rétrécir…et nous n’évoquons pas le problème de l’orpaillage qui menace non seulement la forêt, mais aussi les habitants et les poissons en déversant dans le fleuve des quantités importantes de mercure.
Face à cette folie, on ne peut que garder en mémoire ce dicton indien :
« Quand le dernier arbre sera abattu, la dernière rivière empoisonnée, le dernier poisson capturé alors seulement vous vous apercevrez que l’argent ne se mange pas ».
Pour les amateurs de traversées océaniques lointaines, et des aventures marines à lire absolument.
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Une invitation au voyage particulièrement bien racontée et documentée.
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Ce fut un voyage totalement dépaysant et extraordinaire
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Très beau récit d’un voyage inoubliable, magique ,à la découverte d’un des plus grand fleuve du monde
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Une croisière pas comme les autres, à bord d’un navire d’exception, merci pour cette belle balade exotique!
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Monique Provenat-grobel
ce fût un voyage inoubliable, une croisière comme personne ne peut l’imaginer avec des paysages magnifiques lors de nos visites à chaque escale.et une ambiance de famille sur le bateau
Pour une première croisière, je peux dire qu’elle fût réussie
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Cela fait carrément rêver !
Quel beau voyage , si bien raconté.Merci pour ce récit
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