Voyage dans l’Angleterre du XVIII ème siècle
par Daniel Sueur.
Nous commencerons ce voyage en évoquant le superbe livre sur le grand Darwin dont chacun sait qu’il est le père de la théorie de l’Evolution. Nous pourrions partir avec lui sur le Beagle, le bateau qui pendant cinq ans l’emmènera dans sa formidable collecte d’informations en matière d’histoire naturelle, un très beau sujet pour, peut-être, un prochain article. Nous nous contenterons pour cette fois de rester dans sa famille et d’évoquer essentiellement l’époque vécue par son grand-père.
Charles est le fils de Robert Waring et le petit-fils d’Erasmus Darwin.
Robert Waring Darwin fut médecin pendant plus de soixante ans. Très apprécié de ses patients, il a publié plusieurs ouvrages sur des sujets médicaux, notamment sur les images de persistance rétinienne.
Deux personnages vont nous intéresser plus particulièrement aujourd’hui, le grand-père de Charles Darwin, Erasmus Darwin, et le peintre anglais Joseph Wright of Derby.
Voici donc un premier portrait du grand-père de Darwin, Erasmus, réalisé par Joseph Wright of Derby…
…et l’autoportrait du peintre lui-même.
Et voici un deuxième portrait d’Erasmus, toujours par Wright of Derby. Il faut dire que tous deux étaient très amis et qu’Erasmus sera le médecin de notre peintre.
Erasmus, c’était un personnage impressionnant : médecin, géologue, naturaliste, inventeur, philosophe, poète, auteur de nombreux travaux sur la botanique, l’éducation, les questions de société.
C’est lui qui amorcera de façon significative les réflexions sur l’origine de la vie et son évolution. En tous cas, un véritable homme des Lumières aux connaissance encyclopédiques et un amoureux des sciences et des techniques.
Il sera le co-fondateur de la Lunar Society, un dinner club (où l’on se rencontrait à l’occasion de repas) composé d’éminentes personnalités de l’industrie, de philosophes et autres intellectuels qui se sont régulièrement réunis à Birmingham de 1765 à 1813.
Lunar society : parce qu’on attendait pour se réunir que la pleine lune éclaire le chemin jusqu’au lieu de la réunion.
Cette sculpture érigée au centre de Birmingham est un hommage à trois éminents personnages ayant fréquenté la Lunar Society :
Les deux premiers : Matthew Boulton, un industriel, et James Watt, homme d’affaires, s’associèrent pour fabriquer des centaines de moteurs à vapeur à la pointe du progrès. Ils ont ainsi rendu possible la mécanisation de nombreuses usines et de moulins.
Boulton avait une autre spécialité, celle de la frappe de monnaie, pour le compte du Trésor britannique.
Quant à Murdock, c’est un ingénieur qui a travaillé au service des deux premiers et qui a contribué grandement à améliorer les machines produites par l’entreprise. A noter que Benjamin Franklin visitera régulièrement la Lunar Society.

Joseph Wright of Derby (1734-1797), est un peintre de paysages et de portraits. Il passera l’essentiel de son existence à Derby et c’est là qu’on peut admirer la majorité de ses œuvres.
Comme beaucoup de peintres anglais de l’époque, Wright a visité l’Italie en 1775, mais le tableau qu’il nous donne du Vésuve en éruption est une construction faite en atelier sur la base des connaissances scientifiques du moment sur les volcans. Avec le contraste entre l’énergie spectaculaire développée par le volcan et la tranquillité du paysage marin baigné par la lumière de la lune. Et pour accentuer la force de la nature, Wright a appliqué des touches de jaune soufre sur le vermillon de la lave en fusion.
En matière de portraits, on peut mentionner ce tableau intitulé « Les trois enfants de Richard Arkwright avec un cerf-volant » (1791). Ce sont les trois petits-enfants d’un industriel du Derbyshire qui a fait fortune dans le tissage du coton. Ce portrait est pour la famille un témoin d’élévation sociale.
Dans ce tableau réalisé au milieu d’un paysage naturel, avec la posture décontractée des enfants occupés à jouer au cerf-volant, Wright fait la démonstration de son habileté à combiner l’observation minutieuse des détails avec une certaine absence de formalisme.
Wright est aussi un spécialiste des clairs-obscurs mettant un accent tout particulier sur les contrastes entre ombre et lumière.
A l’image des tableaux de Georges de La Tour en France.
Arrêtons-nous un instant sur ce tableau dont le titre est « L’alchimiste découvrant le phosphore » (1771). La peinture montre l’alchimiste essayant de produire l’insaisissable pierre philosophale, pierre qui pourrait transformer le métal ordinaire en or. Au lieu d’or, et à sa grande surprise, il découvre le phosphore. On notera, d’après l’arrière-plan, que Wright ne situe pas l’alchimiste dans le XVIIe siècle, mais dans une pièce de style médiéval avec des arcs gothiques et de hautes fenêtres pointues, rappelant l’architecture des églises. Il y a aussi d’autres connotations religieuses à la peinture puisque l’alchimiste se met à genoux devant une source lumineuse, plaçant ses mains dans une pose similaire à celle utilisée par le peintre El Greco dans son Saint-François recevant les stigmates.
Joseph Wright of Derby restera avant tout le peintre qui aura le mieux exprimé l’esprit de la Révolution industrielle dans son pays, ce qui constituera une grande originalité pour l’époque et provoquera au départ bien des critiques.
Grand ami d’Erasmus Darwin, il était le mieux placé pour rendre compte par sa peinture des réalisations mises en œuvre par les industriels participant à la Lunar Society.
On va donc voir plusieurs tableaux de Wright of Derby représentatifs de cette révolution industrielle en Angleterre. Signalons qu’en matière de révolution industrielle on parle de 1770 en Angleterre et plutôt de 1830 en France.
Mais voyons tout d’abord de ce qui est le centre de l’un des tableaux de Wright que nous verrons dans un instant : la pompe à vide de Francis Hauksbee qui était le premier assistant (excusez du peu !) d’Isaac Newton.
Cette pompe date de 1705, elle est faite de bois, de verre et de cuivre, elle est équipée d’un thermomètre. Elle était utilisée pour des expériences à la Royal Society. Pour répondre à la demande des Universités et des nombreux amateurs d’expériences autour de cette pompe à vide au milieu du XVIIIe siècle, des versions de la pompe de Hauksbee comme celle peinte par Wright ont été fabriquées et diffusées dans tout le pays.
Tableau « Expérience de l’oiseau dans la pompe à vide » (Joseph Wright of Derby 1768)
Observons : 1- La scène est éclairée par la lueur de combustibles luminescents. On reconnaît immédiatement le style de Wright avec ce violent contraste entre ombres et lumière.
2- il s’agit de la fameuse pompe à air et l’expérience consiste à faire progressivement le vide dans la cloche située dans la partie supérieure et dans laquelle un cacatoès blanc va progressivement suffoquer.
3- A quoi reconnaît-on qu’il s’agit d’une réunion de la Lunar Society? A la présence symbolique de la pleine lune dont la lumière s’aperçoit à travers la fenêtre,
4- près de laquelle un jeune garçon semble actionner un filin relié à une poulie destinée à monter et descendre la cage de l’oiseau, dont la porte est restée ouverte.
5- au premier plan, tenant à la main ce qui semble être un chronomètre, Erasmus Darwin lui-même avec à sa gauche un jeune garçon attentif qui pourrait être son premier fils Charles.
6- Le motif central est l’instrument scientifique lui-même, dont la puissante verticalité est comme soulignée par le geste de l’homme qui explique l’expérience
7- à deux très jeunes filles, dont l’une dirige un regard anxieux vers l’oiseau agité de spasmes et l’autre détourne son regard d’une scène dont elle ne perçoit, à l’évidence, que la cruauté.
Dans ce tableau Wright se fait l’interprète d’Erasmus Darwin et des traités qu’il a écrits sur l’éducation scientifique des enfants et plus particulièrement des filles. Est-ce que ce type d’expérience est vraiment ce qu’il y a de plus pertinent pour inciter des jeunes à poursuivre des études scientifiques ? On peut en douter, mais on peut aussi imaginer une fin heureuse à cette expérience et le geste de l’opérateur va dans ce sens : l’oiseau est près de suffoquer et l’expérience est concluante puisque la pompe à air a bien fait le vide. On peut donc l’arrêter, et ouvrir le bouchon au sommet de la cloche en verre : l’oiseau vivra !
La toile suivante montre un philosophe faisant un exposé sur le planétaire (en fait le système solaire) dans lequel le soleil est remplacé par une lampe.
On voit le visage radieux des enfants devant les merveilles de la science, avec comme toujours le contraste entre ombre et lumière, l’éclairage à la chandelle qui scintille pouvant symboliser le début du progrès scientifique et de l’avènement du progrès humain…
C’est peut-être avec ce tableau que Wright sera l’artiste le plus considéré comme le témoin par l’art de la Révolution industrielle et des Lumières.
On voit ici ce qu’on pourrait appeler une fonderie familiale avec le patron et sa famille rassemblés autour d’un ouvrier forgeant une barre incandescente de fer en fusion qui illumine l’intérieur de la forge. Les forges hydrauliques n’étaient pas nouvelles, mais Wright innovait en proposant d’en faire des sujets acceptables pour une représentation artistique. L’éclairage violent et la mise en scène plutôt dramatique d’une scène de la vie courante suggèrent l’ambition de Wright d’accéder au statut supérieur du » Grand Genre » en vogue à l’époque dans le domaine de la peinture.
Voici un premier détail sur la famille.
Dans ce 2ème détail, la lumière incandescente du tableau se reflète sur les épaules et le cou de la petite fille.
Cette autre version de la forge montre une échoppe où trois hommes s’affairent à forger une pièce de fer ou d’acier. La présence de visiteurs et l’heure nocturne s’expliquent pour l’observateur par la présence en arrière-plan d’un maréchal-ferrant qui travaille à l’extérieur. Wright a imaginé un voyageur tombé en panne en cours de route et le maréchal-ferrant travaille donc à la lumière d’une chandelle. Cette situation permet à Wright de montrer à nouveau son talent et son intérêt pour les jeux d’ombre et de lumière.
Enfin, cette version de la forge qui fut achetée par Catherine II avec d’autres tableaux ou plutôt par Ivan Souvalov, l’un de ses nombreux amants et chargé pour un temps de la culture pour le compte de la tsarine.
Voilà quel était l’objectif de cet article : en partant du nom de Darwin qui vient immédiatement à l’esprit, évoquer les autres grands hommes de cette famille et aussi effectuer une plongée dans cette Angleterre de l’ère industrielle avec le peintre Wright of Derby comme excellent illustrateur.
Et avec la Lunar Society évoquer aussi un exemple original de mise en commun des savoirs d’une époque pour assurer le développement d’un pays. On trouvera ci-après pour terminer la liste des principaux membres à l’origine de cette assemblée.
Mathew Boulton. Industriel ayant développé l’usage du moteur à vapeur dans l’industrie. Il a de plus réglementé le temps de travail en accord avec ses ouvriers et instauré les premières assurances-maladies.
James Watt. Homme d’affaires, associé à Boulton.
Erasmus Darwin. Poète, inventeur, botaniste. Grand-père de Charles Darwin. Ce qui est aussi remarquable chez cet homme, c’est qu’il a publié une théorie de l’évolution 60 ans avant son petit-fils et avant Lamarck. Il a aussi développé un système de direction qui sera repris par Henry Ford, le célèbre constructeur automobile américain.
Josiah Wedgwood. Le père de la poterie anglaise et l’autre grand-père de Charles. Un industriel qui de son temps a produit de la vaisselle à des prix abordables pour la masse des travailleurs.
Joseph Priestley. Scientifique, découvreur du dioxyde de carbone et inventeur des boissons gazeuses
James Keir. Chimiste, inventeur du savon pour les masses populaires
Richards Lovell. Inventeur, il a publié des livres sur l’éducation
Edgeworth William Murdoch. Ingénieur chez Boulton et Watt, inventeur de la lumière au gaz. Il termina sa vie à la Cour du Shah de Perse où il était considéré comme l’incarnation de Marduk, le dieu antique de la lumière
William Small. Mathématicien, philosophe, mentor de Thomas Jefferson, 3ème président des Etats-Unis
William Withering. Docteur et botaniste, inventeur du traitement des maladies cardiaques par la digitale pourpre.
L’art historise et met en valeur les grands scientifiques.
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Si vous passez par Derby, ne manquez pas de visiter le musée de la ville: Vous y verrez d’autres très belles œuvres de Joseph Wright of Derby, notamment toute une série de très beaux dessins. Vous verrez également un musée riche en collections diverses et comment outre-manche les richesses muséales sont mises à disposition du public, notamment des enfants, avec des parcours pédagogiques propres à former la culture, ici par l’art, l’Histoire, les sciences naturelles,…des jeunes générations.
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Sacré voyage érudit et un éclairage inédit sur cette époque, avec en plus une magnifique recherche iconographique. J’aime beaucoup de diner-club de la Lunar Society! Très inspirant !
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