Un pas vers l’océan

Par Hugo Verlomme.

 

On pourrait me croire épuisée, ébranlée par le temps et les vagues. Une fois de plus, les tempêtes de février m’ont brisée, mais je suis toujours là et je renais de mes cendres.

Mon bonheur c’est de sentir vos pas lorsque vous marchez sur mes poutres, vous les heureux passants qui osez vous aventurer vers le large. Quel bonheur de sentir les petits pieds enfantins, les enjambées des sportifs, l’impatience des surfeurs, l’immobilité des pêcheurs à la ligne…

Je suis aux premières loges pour voir tanguer les bateaux dans la barre écumante. Je pointe la haute mer, cap à l’ouest, je suis une passerelle vers ce formidable canyon sous-marin qui commence là, tout près…

« On m’appelle l’Estacade, avec un « E » majuscule s’il vous plaît, celle de Capbreton, mise en œuvre par Napoléon III et ses ingénieurs afin de créer un port de pêche. À moi seule, j’incarne la modernité. Construite à claire-voie, je consolide le chenal pour les bateaux tout en laissant passer le sable. Depuis, j’ai vu les nuits d’hiver glaciales apporter leurs lots de tempêtes, de naufrages et de noyades. J’ai fait face aux vagues scélérates et à des raz-de-marée de faible intensité, en 1924 et 1938, et une fois de plus, ma charpente a volé en éclats. Et toujours, les hommes sont revenus pour me reconstruire. J’ai même été détruite pendant l’Occupation en 1943 pour ne pas gêner la balistique des canons allemands… Ah, j’aurais tant rêvé d’un débarquement, j’aurais accueilli les GI’s libérateurs affluant sur nos plages…

« Plus ou moins longue selon les époques, je suis devenue un baromètre de la vie locale, j’héberge les amoureux, les curieux qui observent les bateaux secoués dans la passe, les téméraires, les photographes, et j’entends leurs cris de joie lorsqu’ils se font éclabousser par les embruns. En paraphrasant une grande dame, (Annie Girardot recevant son César au crépuscule de sa vie), je dirais : Je ne sais pas si je vous manquerais, mais à moi, vous me manqueriez follement, éperdument, douloureusement… Les pas des enfants, des marins ou des loups de mer, cela n’aura jamais de fin. Vos témoignages, votre amour, me font comprendre que je ne serai jamais tout à fait morte ».

Ainsi va la vie, et cette charpente marine a une âme bien chevillée au bois. Trait d’union entre deux mondes, elle est une mémoire vivante et le rappel que l’océan est notre futur.

Photos Nicole Degrave et Internet

8 commentaires sur “Un pas vers l’océan

Ajouter un commentaire

  1. C’est vraiment une vieille dame, qui prétend même à la vie éternelle ! Battue par les lames à chaque nanoseconde depuis 150 ans, détruite par Dame Nature ou par les guerres, elle reste fidèle au poste et nous invite à poursuivre sereinement notre « Chemin » sur ses lattes de bois, vers l’horizon marin.

    Merci Nicole pour cette dernière photo très inspirante, et merci Hugo pour ce texte si doux, mais que signifie « Estacade » en langue basque ?

    Aimé par 2 personnes

  2. Merci beaucoup, Hugo, pour ce texte magnifique, empreint de poésie, de nostalgie du grand large et d’admiration pour tous les hommes qui maintiennent l’Estacade « en vie ». Un vrai plaisir de lecture et de découverte.

    Aimé par 3 personnes

  3. Bonjour Danielle, Merci pour votre commentaire. Je ne comprends pas bien la question, car Capbreton est en Gascogne, (pas au Pays basque) et « estacade » est un mot tout à fait français très courant pour désigner une jetée en bois à claire-voie. Amitiés

    Aimé par 2 personnes

  4. Pan sur le bec : je vous remercie pour vos précisions, Hugo, mais j’avais imaginé « votre » estacade vers Biarritz alors que vous indiquez bien Capbreton au quatrième paragraphe. Je suis donc prise en flagrant délit de lecture en diagonale et je manque de vocabulaire courant… Toutes mes excuses.

    Aimé par 2 personnes

Laisser un commentaire

Propulsé par WordPress.com.

Retour en haut ↑