Par Jean-Luc Audoin
Une belle ligne droite, …
Pratiquement la France entière, du nord au sud. Ou mieux, pour avoir plus de chances de finir au soleil, du Nord au Sud-Ouest, de Croix en Flandres à Cambo-les-Bains au Pays Basque.
1.010 km, la France de la tête au pied (gauche), à la découverte de deux villas
témoins de leur époque et rêves achevés de deux hommes.
Je vous emmène découvrir la villa Cavrois, à Croix dans la banlieue de Roubaix, et la villa Arnaga à Cambo-les-Bains près d’Espelette.
Mais tout d’abord, un mot sur les créateurs :
Paul Cavrois (1890-1965) dirige une de ces grandes filatures du Nord, il appartient à la troisième génération d’une importante famille d’industriels.
Entre les deux guerres l’industrie textile est prospère et les filatures Cavrois ont surmonté rapidement les destructions de 14-18.
Chez les filateurs, la richesse pourrait s’exprimer en nombre de broches, il y en
avait 16.800 aux filatures Cavrois, de quoi produire 600 tonnes de laine.
( besoin d’explications sur la broche ? c’est une pièce métallique, comme une broche de cuisinier sur laquelle est fixée la bobine de fil. Allez donc visiter le musée de la filature Terrade à Felletin en Creuse à peu près à mi-chemin de Cambo et de Croix et avec ce détour, comptez 1.156 km ! )
A ce niveau de bobines, on trouve également les Pollet, fondateurs de la Redoute et la famille Prouvost de la Lainière de Roubaix.
Edmond Rostand (1868-1918) c’est l’homme d’une œuvre et c’est bien sûr Cyrano de Bergerac.
Un succès fulgurant, son auteur reçoit même la légion d’honneur pendant l’entracte ! Cette célébrité lui donne les moyens de réaliser son rêve à Cambo, là où sa santé l’oblige à résider. Les eaux sulfureuses de Cambo sont en effet connues depuis les Romains pour soigner les rhumatismes et les voies respiratoires.
Robert Mallet-Stevens (1886-1945), c’est l’architecte qui va surprendre les époux Cavrois.
En 1925, lors de l’exposition des Arts Décoratifs, son pavillon des renseignements et du tourisme jouxte celui des filatures, son audace va faire scandale.
En 1927, fait probablement unique, Mallet-Stevens inaugure une rue à son nom dans le 16e arrondissement de Paris. Vitrine commerciale géniale, elle permet d’apprécier le style des villas édifiées dans un cadre urbain conçu par Mallet-Stevens comme un ensemble unique, de la voirie aux lampadaires.
Les Cavrois vont être conquis et passent commande d’une villa moderne, pratique et sans ostentation (on est dans le Nord…).
A Croix, les travaux dureront trois ans et vont aboutir à ce que certains verront
comme un château avec douves, chemin de ronde et donjon -appréciation de concurrents un peu jaloux peut être, comme Le Corbusier et Perret- .
Peut-être plus exacte est la comparaison avec un paquebot, le Normandie, bien sûr style Art déco, matériaux à la pointe du progrès : béton, aluminium, conception rationnelle .
Par exemple, pour les façades en brique jaune, Mallet-Stevens va standardiser la
production en dessinant trois modèles, aucun décroché, aucune rupture.
Autre exemple: grâce au téléphone dans toutes les pièces, un appel pour une
demande à un domestique au lieu d’une sonnerie pour un domestique qui vient prendre un ordre, repart chercher ce qui est nécessaire et revient finalement pour exécuter l’ordre.
Tout le câblage électrique aura été conçu et intégré dès le départ: aucune boîte de dérivation, aucune épissure et un tableau électrique au sous-sol, véritable œuvre-d’art.
On pourrait aussi citer le système radio: un haut-parleur dans toutes les pièces à vivre dépendant d’un seul récepteur-phonographe dans le hall.
Visiter Croix, c’est voir que le beau peut être dans tout : pèse-personne intégré
dans un mur de salle de bains, pendules, poignées de portes, éclairages.
Des détails uniques dans un ensemble unique, un paquebot !
Prenez une bonne demi-journée pour visiter et vérifiez bien les amarres !
Escalier villa Cavrois
Petit aperçu de l’intérieur de la villa


A Cambo, on ne cherche pas à être en avance sur son temps, mais plutôt hors du
temps.
Vertu du style basque, harmonieux au point que le passant distrait pourrait
confondre la Villa Arnaga avec n’importe quelle autre belle villa basque ; sauf que celle-là compte 40 pièces pour 600 mètres carrés.
A Croix, les mots clés sont ‘moderne’ et ‘pratique’, voire ‘économique’, à Cambo, il s’agit plutôt de poésie, de bien-être et de représentativité.
Edmond Rostand est un homme de théâtre, il donne à voir, il faut du spectacle. Ce sera Albert Tournaire, contemporain et relation de Mallet-Stevens, qui prendra en charge la réalisation de cette oeuvre de démesure qui durera 3 ans.
Ici, les jardins ne seront ni potagers, ni fruitiers, comme à Croix, mais à l’Anglaise et à la Française.
Les pièces ? Toutes richement décorées par des artistes.

Mais à Arnaga, comme à Croix, la modernité est bien là ; simplement elle n’est pas un élément d’architecture, elle est derrière les décors comme au théâtre.



La cuisine, chez IKEA , ce serait le modèle Versailles…
Plus qu’une salle de bains, une vraie salle d’eau dont le sol coiffe une dalle de
plomb destinée à recueillir et évacuer les eaux usées comme une douche à l’italienne aux dimensions de la pièce.
A propos de douche, celle-là avait deux fonctions : eau chaude et froide bien sûr,
mais également diffusion de vapeur mélangée aux médicaments pneumologiques dont Edmond avait besoin.
L’eau potable de toute la maison était filtrée par un appareil électrique.
Evidemment chauffage à air pulsé.
1.100 km les séparent, mais mêmes préoccupations et mêmes installations.
Et les 1.100 km vont fondre.
Avec la deuxième Guerre mondiale, et pour protéger son épouse née Bernheim,
Robert Mallet-Stevens viendra s’installer au Pays Basque.
En 1927, la municipalité de St Jean de Luz confie à Mallet-Stevens la rénovation du casino « la Pergola ». Il en conservera les volumes mais en changera le style passant du néo-basque à une architecture épurée et moderne.
Ce sera l’un des tout premiers bâtiments inspirés du cubisme.
Pour conclure, une petite colle : Savez-vous qui a facilité le financement de la Villa Arnaga ?
Réponse : L’un des fondateurs du CNEP devenu BNP, puis BNPPARIBAS : Alexis Rostand, l’oncle d’Edmond.
J’espère, amis lecteurs, que ce voyage sera également roboratif, alors à Lille pensez Welsch et Waterzoil, et à St Jean de Luz chipirons !
Rapprochement « à distance » vraiment impressionnant : deux maisons de mégalomanes, conçues par deux architectes français qui se connaissaient, à savoir Robert Mallet-Stevens et Albert Tournaire, à 26 ans d’écart (1903, 1929) dans des styles opposés (régional / avant-gardiste) mais avec le même souci de la Perfection, de l’alliance du Beau et du Progrès. Je viens de découvrir ces deux bâtisses grâce à Jean-Luc et je suis frappée par la ressemblance entre l’escalier de la Villa Cavrois et celui de l’Université du Bauhaus à Weimar, qui lui est antérieur.
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Comparaison impressionnante en effet entre deux créations monumentales avec dans chacune le but de représenter ce qu’il y a de mieux dans son genre. Pari réussi apparemment par ces deux architectes ambitieux. Merci, Jean-Luc, pour cette visite passionnante.
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Belle découverte que ces deux villas d’architecte, une bonne introduction à notre future journée-rencontre où nous devons justement visiter la Villa Arnaga.
Merci Jean-Luc pour cet intéressant article.
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Passionnante cette découverte de ces deux villas construites avec seulement 20 ans d’écart. Elles sont totalement différentes dans leur architecture, mais ont en commun ce goût de décliner l’innovation et le confort de façon artistique, ce qui, dans un autre ordre d’idées, me rappelle l’article de Daniel sur » l’Art au service du progrès ».
Merci Jean-Luc pour cette belle introduction à notre future journée-rencontre…
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Merci pour ce bel exposé sur ces deux villas d architectes .
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Belle visite dans ces deux maisons que nous découvrons grâce à toi , Jean Luc , merci pour cela .
J ai aimé ton article court ,efficace, qui donne envie d aller au bout sans lasser le lecteur .
Bravo ! J attends la suite 👍🏻
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Merci Jean-Luc pour nous avoir fait découvrir deux architectes qui ont su introduire la modernité dans deux conceptions architecturales différentes.
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L’architecture, c’est de l’art en 3D (au moins) qu’on n’ira pas voir dans un musée, mais dans la rue, tout simplement.
Et en architecture, il y a des artistes à qui l’on donne l’occasion de s’exprimer.Merci à Jean-Luc de nous avoir fait découvrir Robert Mallet-Stevens et Albert Tournaire qui semblent avoir réalisé, dans des styles différents, ce que j’appellerai des œuvres d’art (puisque nous y sommes) remarquables!
Ah que j’aime ces artistes qui laissent leur trace jusque dans les poignées de porte!
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J’en rêvais de cette villa Arnaga et je viens tout juste de la visiter : elle rassemble la Maison basque, les Jardins de Trianon et la mise en scène théâtrale ! J’y découvre le côté mégalomane d’Edmond Rostand, mais, avant lui, Eugène Viollet-le-Duc n’avait-il pas recréé l’architecture et la décoration de quelques châteaux dans le style néo-gothique ?
Rien ne semblait impossible avant la Première Guerre mondiale.
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