Jack London, le goût du sel

 

par Hugo Verlomme                             

L’amour de la mer est immémorial, il transcende nos cellules et nous habite parfois de façon aussi tenace qu’inexplicable. Jack London fait partie de ces êtres qui ont de l’eau salée dans le sang. J’ai moi-même connu ce baptême cosmique avec les éléments, à peine âgé de quelques mois, dans les baïnes d’Hossegor battues par les vagues, et l’appel de l’océan ne m’a plus jamais quitté.

Lorsque Jack London publie ce texte fameux, The Joy of Small-boat Sailing (littéralement Les Joies de la navigation sur de petits bateaux) nous sommes en 1912 et l’écrivain-aventurier, âgé de 36 ans, a publié plusieurs best-sellers et déjà bien bourlingué. Sa vie et ses écrits montrent que la force de la mer reste en lui tout au long de son existence : « Marin un jour, marin toujours. Le goût du sel ne s’affadit jamais ».

À peine âgé de 17 ans, Jack s’embarque à bord d’un schooner de chasseurs de phoques et il écume le Pacifique Nord pendant huit mois aventureux qui l’ont aidé à forger son imaginaire océanique, tout comme Jules Verne l’a fait avec sa traversée de l’Atlantique à bord d’un navire câblier en 1876. Cette fin de XIXe siècle marque le déclin de la marine à voile, mais elle n’en est pas moins fertile en événements maritimes. Un livre va changer la vie de Jack London : le journal de bord du premier marin à boucler un tour du monde à la voile en solitaire, Joshua Slocum. Après avoir parcouru 46 000 milles à bord du Spray (1895-1898), il publie Seul autour du monde sur un voilier de onze mètres, devenu un classique du livre de mer. Ce même Slocum sera une puissante inspiration pour Bernard Moitessier, dont le voilier mythique de La Longue route s’appelle Joshua, aujourd’hui bateau patrimoine du Musée maritime de La Rochelle.

« On naît marin, on ne le devient pas » affirme Jack London pour qui les ̋vrais marins̏ ne se trouvent pas à la passerelle des grands navires, mais plutôt à la barre des petits bateaux. Ces marins doivent, selon lui, bien connaître vents et marées, « courants et eddies, barres de vagues et chenaux, signaux diurnes et nocturnes, il doit aussi connaître les légendes locales et les qualités particulières de son bateau… ». En cela aussi, London et Moitessier se rejoignent, car Bernard était un adepte des bateaux les plus simples comme son dernier, Tamata, ou même des petits Optimist, si parfaits pour l’apprentissage.

Mais il aura fallu à Jack London moult galères et erreurs de jeunesse pour parvenir à une telle philosophie. En effet, alors qu’il n’a que vingt ans, déjà auteur à succès, il vient d’épouser Charmian, une femme de bonne famille à l’esprit aventureux, et avec elle il rêve d’imiter son héros, Joshua Slocum : naviguer vers les mers du Sud tout en écrivant. Aussi Jack décide-t-il de se faire construire le voilier de ses rêves, une entreprise hasardeuse, parsemée de pièges et de problèmes (y compris un tremblement de terre) qui vont presque l’amener à la ruine. Malgré ces obstacles, le Snark (animal mythique et insaisissable inventé par Lewis Carroll), un ketch de 17 mètres, quitte le port de San Francisco en avril 1907 pour un tour du monde censé durer sept ans.

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La première escale, Hawaii, se trouve à 2 000 milles mais personne, à bord, ne sait vraiment naviguer. En outre, le moteur ne fonctionne pas et rapidement la coque s’est mise à prendre l’eau. Pour couronner le tout, le gréement ayant été mal conçu, le voilier ne répond pas bien dans la tempête… L’un des membres d’équipage, Martin Johnson, décrira la traversée comme « les 27 jours les plus sauvages et chaotiques que des êtres humains puissent vivre ». Ce n’est pas la première fois que Jack fait escale à Hawaii, mais il arrive alors avec son propre bateau, accompagné de sa charmante épouse, et tous deux prennent le temps d’y découvrir un sport « royal » sur le point de disparaître : le surf.

Seuls quelques watermen le pratiquent encore sur les longues vagues de Waikiki, plage où sont installés Jack et Charmian. Parmi ces surfeurs, un natif d’Hawaii athlétique et charismatique, qui deviendra une légende, le Duke Kahanamoku. Fasciné, s’essayant lui-même au sport comme Mark Twain avant lui, Jack London écrit un texte enthousiaste et flamboyant qui fera date. Un Sport royal : le surf à Waikiki sera publié dans plusieurs magazines américains avant d’être repris (et complété) au sein du livre que Jack London écrira sur son périple : La Croisière du Snark (1911), un best-seller qui marquera son temps, notamment par la mise en lumière du surf. Ses écrits ont ainsi grandement contribué à faire revivre ce sport au XXe siècle, d’abord à Hawaii, puis sur la côte californienne. Voici comment il décrit le Duke : « Il vole devant lui, aussi rapidement que le flot sur lequel il se tient en équilibre. C’est le dieu Mercure, un Mercure à peau brune ; ses talons ailés l’emportent avec la vitesse des vagues. Du fond de la mer, il a bondi sur le dos d’une lame rugissante à laquelle il s’accroche, malgré les efforts de celle-ci pour se débarrasser de lui ».

Le livre relate aussi le reste du voyage du Snark vers les Marquises sur les traces de Melville, puis les îles de la Société et Samoa, où il se recueille sur la tombe de Stevenson ; viennent ensuite les nombreuses îles de Mélanésie, mais les fièvres et les maladies de l’écrivain et de l’équipage finissent par interrompre ce tour du monde au bout de 19 mois aux îles Salomon. Le couple rentre en Californie en 1909.

Voilà un écrivain voyageur qui a vécu ses rêves jusque dans sa chair, il a vécu en Robinson des mers du Sud ou en trappeur du grand Nord… Merci, Jack, d’avoir été un visionnaire de l’aventure océanique, de nous avoir donné le goût du sel qui jamais ne s’affadit. Comme tu l’écris très justement : « Si un homme est né marin, et qu’il a été à l’école de la mer, il ne pourra jamais, de toute sa vie, s’en éloigner. Son sel est dans ses os, tout comme dans ses narines, et la mer l’appellera jusqu’à sa mort ».

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5 commentaires sur “Jack London, le goût du sel

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  1. Magnifique évocation de Jack London. J’a Lu avec passion « la Croisière du Snark », livre que j’ai dans ma bibliothèque. Hugo, tous les amoureux de la mer, imprégnés de sel marin, apprécieront ton bel article.

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  2. Quel écrivain aventurier ! Je me souviens avoir lu adolescente « Croc blanc » et « l’appel de la forêt » que j’avais beaucoup aimés.
    Ça me donne envie de me replonger dans ses œuvres. Merci.

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  3. Bravo au navigateur et à l’écrivain hors normes, … mais n’oublions pas Charmian qui a sans doute toute sa part dans cette aventure humaine

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  4. Et voilà que Jack London « refait surface » grâce à votre vibrant hommage ! Un documentaire lui a été consacré cet hiver sur ARTE et j’avais été impressionnée par la vie et l’oeuvre de cet aventurier, au sens noble du terme. J’ai donc relu « Croc blanc » que l’on donne à lire aux enfants : c’est un ouvrage d’une rare qualité d’écriture et empreint d’une grande dignité où l’on retrouve, en arrière-plan, la biographie de l’écrivain dévoilée par le documentaire. De ce pas, j’ai maintenant envie de me plonger dans « La croisière du Snark », même si je n’ai pas le pied marin …

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  5. Quelle stature, quelle personne fascinante ! Jack LONDON se révèle marin, écrivain, aventurier intrépide… Je viens de refermer son livre « Martin EDEN » qui est une sorte d’autobiographie où il parvient à décrire la pulsion visionnaire du créateur confronté à une société policée, étriquée, au dessus de laquelle il plane, tel un oiseau de feu.

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