Par Danielle Morau
La nuit, nous voyons dans le ciel un disque plat, nous savons que c’est une boule quatre fois plus petite que la Terre ; nous baignons dans une lueur blafarde, nous savons que la Lune réfléchit vers la Terre la lumière solaire qui l’inonde. Sur la surface lunaire, nous distinguons des zones plus foncées, nous rêvons d’aller voir de près de quoi il s’agit. Et la distance ne nous fait pas peur : nous aurions pu y aller à pied en juxtaposant trente fois la Terre pour créer un chemin d’accès, mais c’est Jules Verne qui nous a donné le sésame dès 1865 en vulgarisant l’idée d’un énorme projectile habité qui serait lancé par un canon pour vaincre l’attraction terrestre.


Malheureusement, le voyage se termine mal pour cet engin qui se plante à la surface de l’astre, tel un pieu dans l’œil du cyclope, comme le prouve le film de Georges Méliès, en 1902.
Moins d’un siècle plus tard, en 1952, voilà que le capitaine Haddock, le reporter Tintin et le fidèle Milou, équipés de scaphandres pour remédier au manque d’oxygène, parviennent sans encombre dans la Mer de la Tranquillité – 17 ans avant Neil Armstrong.

Dommage que le dessinateur Hergé ait oublié de leur donner un drapeau belge à planter car eux aussi ont fait un petit pas pour l’homme et un grand pas pour l’humanité !

Trêve de plaisanterie, gardons les pieds sur la Terre où tout un chacun peut pratiquer la « marche de la Lune ». Paradoxalement, alors qu’aucun vent ne souffle sur la Lune, il convient de se déplacer comme si on luttait contre une forte Tramontane, ce qui induit une démarche chaloupée et donne l’illusion qu’on avance alors qu’on reste sur place ! Dans les années 1950, le mime Marceau excellait dans cette pratique et, en 1980, Michaël Jackson l’a adoptée puis rendue célèbre dans le monde entier.

Marceau ayant toujours le visage enfariné comme une face de lune, ce pas de danse s’appela « moonwalk ». En outre, ce mime avait un faible pour un personnage de la commedia dell’arte nommé Pierrot toujours vêtu de blanc. Et justement, voilà la Lune qui réapparaît.
Au clair de la Lune | Au clair de la Lune | Au clair de la Lune | Au clair de la Lune | |||
Mon ami Pierrot | Pierrot répondit | L’aimable Lubin | On n’y voit qu’un peu | |||
Prête-moi ta plume | Je n’ai pas de plume | Frappe chez la brune, | On cherche la plume | |||
Pour écrire un mot | Je suis dans mon lit | Ell’ répond soudain : | On cherche le feu | |||
Ma chandelle est morte | Va chez la voisine | — Qui frapp’ de la sorte ? | En cherchant d’la sorte | |||
Je n’ai plus de feu | Je crois qu’elle y est | Il dit à son tour : | Je n’sais c’qu’on trouvera | |||
Ouvre-moi ta porte | Car dans sa cuisine | — Ouvrez votre porte | Mais je sais qu’la porte | |||
Pour l’amour de Dieu | On bat le briquet | Pour le dieu d’amour ! | Sur eux se ferma |
Le couplet en italique correspond à un passage censuré dans la comptine pour enfants car cette chanson populaire du 18e siècle était grivoise (chandelle, feu, battre le briquet). Ainsi le clair de lune a la réputation de favoriser les préludes amoureux qui peuvent conduire à trente jours de félicité garantie après le mariage : c’est la « lune de miel » ! Ensuite tout se gâte. Madame « a ses lunes », elle « est mal lunée ». Monsieur « est dans la lune » pour échapper à l’humeur changeante de son épouse « lunatique » mais, quand il part en voyage, il sait qu’elle va lui manquer.
La Lune dans le ciel de Fuzhou cette nuit,
Ma femme sûrement la regarde seule depuis notre chambre.
Tristement, je pense à mes enfants au lointain,
Il sont trop jeunes pour comprendre mon absence et se souvenir de Chang’an.
Ses cheveux détachés, comme une brume parfumée,
Et ses bras blancs pareils au jade, frissonnent sous la pâleur de la Lune,
Quand nous pencherons-nous à la fenêtre ensemble,
Laissant les rayons de la Lune sécher nos larmes ?
Pour répondre à la question posée au 8e siècle par le poète chinois Tu Fu, une cartomancienne marseillaise tire la carte de LA LUNE dans le jeu de tarot.

Que prédire ? Pas grand-chose, sinon que Tu Fu (prononcez bien « tou fou ») est attendu par son épouse ! Effectivement, en matière de croyances, la Lune représente la mère passive qui reçoit la lumière du Soleil, élément actif figurant le père.
Cette lumière solaire, que la Lune réfléchit passivement vers la Terre, rythme notre temps : les phases de la Lune évoluent en continu sur une période définie avant de recommencer pour la même période nommée « mois » qui correspond à 29 levers du soleil soit 29 jours : on a ensuite défini la durée de sept jours nommée « semaine » dont le premier jour a été nommé « jour de la Lune », « lunae dies », soit lundi (Monday, Montag). Et voilà d’où vient notre calendrier, de la Lune, qui a encore d’autres tours dans son sac !

… et Ruth se demandait,
Immobile, ouvrant l’œil à demi sous ses voiles,
Quel Dieu, quel moissonneur de l’éternel été,
Avait, en s’en allant, négligemment jeté
Cette faucille d’or dans le champ des étoiles !
« Cette faucille d‘or » de Victor Hugo correspond au croissant de lune qui, un jour de l’An mille, se refléta avec une étoile dans une mare de sang de guerriers ottomans : cette vision a été immortalisée sur le drapeau turc, qui fut plus tard honni par les habitants de Vienne assiégée en 1683. Comme un boulanger avait donné l’alerte de l’attaque ottomane et qu’il en est résulté la fin du siège, il confectionna un gâteau figurant le croissant des vaincus et nommé par dérision « petites cornes » (hörnchen).

Non content d’avoir donné vie à de fameux croissants, notre satellite est capable de bien d’autres prouesses. Tout d’abord, si petit soit-il, il réussit à nous cacher l’astre solaire, totalement ou partiellement, et c’est une éclipse angoissante, même si elle ne dure pas longtemps. Comme le chantait Charles Trenet, « le soleil a rendez-vous avec la Lune, mais la Lune n’est pas là et le soleil l’attend ». Elle arrivera, c’est sûr !
Ensuite, la Lune est tellement pudique qu’elle nous cache toujours la même face ; elle est aussi coquette et change de couleur ! Habituellement blanche, elle peut devenir rouge ou bleue – comme le drapeau français ! La faible fréquence des lunes bleues a même donné naissance à une expression qui désigne un événement rare : « ça n’arrive qu’une fois toutes les lunes bleues ».
Mais toutes ces fantaisies lunaires ne sont qu’anecdotes par rapport au rôle que cet astre a tenu dans l’imaginaire de l’Humanité…

Bel exercice de style où poésie et légendes nous rappellent l’influence de la lune sur notre imaginaire. J’aime !
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Absolument délicieux!
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J’ai beaucoup aimé cette façon à la fois ludique et pédagogique de nous parler de la lune. Cependant, je n’a pas trouvé la réponse à la question de Guy Beart;
« Croyez-vous, lui dit-il
Qu’il y ait tant d’exil
Sur ce bout de croissant
Un peu de sang ? »
La réponse dans un prochain article, Danielle ?
Mais bravissimo pour ce beau travail de synthèse où tout s’enchaîne merveilleusement.
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Vraiment charmant ! une suggestion ajouter quelques liens avec de la musique ou des textes dits tout haut ( s’il s’en trouve ? ) .
Les différentes phases de la lune m’ont fait rêver .. quelle beauté à les voir ensemble .. !
On attend effectivement la suite ou les suites de cette exploration lunaire !!
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Je ne suis pas dans la lune lorsque je lis toutes ces facéties lunaires si bien racontées par Danielle.
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Merci j’ai beaucoup aimé!
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Eh bien, que de louanges, merci à tous et à toutes ! Sachez que toutes ces facéties ont failli partir à la corbeille : je les avais mêlées aux explications sérieuses du « Tourbillon lunaire » pour alléger mon récit puis supprimées pour ne pas distraire l’attention du lecteur.
Vous pouvez donc remercier notre présidente Nicole Imbert-Degrave qui m’a suppliée de tout récupérer ; en outre, elle s’est donnée beaucoup de peine pour mettre en page la comptine « Au clair de la lune ».
Pour répondre à Marguerite, le projet initial prévoyait la chanson de Guy Béart mais il aurait fallu payer les droits. Pour les poèmes qu’on aurait pu réciter, ils étaient trop longs : un extrait suffisait.
Post-scriptum : Avez-vous noté que des drapeaux américains sont accrochés à l’engin que Jules Verne avait prévu d’envoyer sur la lune ? Exactement un siècle après, un drapeau américain fait semblant de flotter sur cet astre…
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Merci à Danielle pour cette étude très intéressante des Facéties de la Lune et comme d’habitude bien documentée et surtout dans un style agréable à lire, quel beau travail !!
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moment de détente absolu…plénitude dans l’espace où notre astre nocturne éclaire à jamais notre nuit. Vois Danielle où tu es capable de me (nous ?) transporter ! et je suis sérieuse…. ceci dit, beaucoup de recherche et un style très fluide. .
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Un grand merci, Danielle, pour cet article instructif et poétique dont la lecture est un véritable plaisir. Mine de rien, nous apprenons beaucoup de choses sur la Lune. Bravo et félicitations!
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